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ROLAND FRÉJUS
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: mer. 4 février 2015 17:57:59

ROLAND FRÉJUS
Voyageur français du XVIIe siècle. Son arrivée à Alhucemas et à Taza en avril 1667
Le récit de sa tentative de pénétration pacifique


J’ai trouvé ce texte de Ch. Sallefranque, publié dans le Progrès de Fès, hebdomadaire, du 18 avril 1938. J’ignore s’il s’agit d’un simple article ou du texte d’une conférence.

J’apporte quelques précisions dans le cours du texte, signalées par des *

Parmi les rues de notre ville nouvelle, une est dédiée à Roland Fréjus. Rares, sans doute, sont nos concitoyens qui connaissent ce singulier personnage ou qui ont feuilleté la rarissime plaquette, in-12 parue en 1670 «  à Paris chez Gervais Clouzier, sur les degrés en montant pour aller à la Sainte-Chapelle, à la seconde boutique, à l'enseigne du Voyageur » où ce facond marseillais nous conte son voyage à travers le Rif vers « Moulay Arxid, roy de Tafilalete » qui fut le premier des Sultans Alaouites qui régna à Fès où il entra grâce aux intelligences qu'il avait avec les juifs du Mellah, le 24 mai 1667.

C'est une lecture assez curieuse et qui nous montre un bel exemple de l'activité de la France au moment où sous le règne du plus justement glorieux de ses rois, Louis XIV et sous l’habile direction de ce Colbert que nul Ministre du Commerce n’a depuis réussi à faire oublier, elle tentait dans toutes les branches des voies nouvelles.
Il avait paru intéressant à Colbert d'établir un comptoir commercial aux « Albouzèmes » l’Alhucémas des Espagnols, l’Adjir des Riffains, rade admirable et sûre, à proximité de cette Fès prestigieuse dont on savait en Europe depuis la relation de Léon l’Africain, le rôle éminent au point de vue économique dans le Moghreb, et le grand Ministre chargea Roland Fréjus, négociant marseillais qui était venu plusieurs fois déjà en Afrique du Nord, d'aller sur place, en même temps qu'étudier de près les possibilités commerciales du Nord marocain, remettre une lettre de Louis XIV au cheik Aaras qui s'était alors taillé une sorte de souveraineté dans ce Rif si souvent rebelle au Maghzen de Fès.

Roland Fréjus qui avait une connaissance assez superficielle du caractère des « barbaresques » était un arabophile décidé et dès le début il nous affirme que les populations de l'Afrique du Nord « ne sont pas si farouches qu’on nous l'a voulu persuader jusqu’ici, et qu'il n'y a rien de barbare que le nom ».
Parti d’Alméria le 5 avril 1667, Roland Fréjus débarqua, après s’être arrêté chez les Espagnols de Melilla dont le Gouverneur, Louis de Velasco, lui fit mille civilités, à Alhucemas, le 19 avril, en compagnie d'un juif de Melilla du nom de Jacob Pariente que Velasco lui avait donné à titre d’interprète.
Une lettre du Sultan Moulay Rechid invitant Fréjus * à venir le voir, plongea celui-ci dans d’enthousiasme, car il nous déclare que « les véritables Morès et Arabes » sont les hommes les plus religieux de leurs paroles qui soient. Moulay Rechid avait d'ailleurs d'excellentes raisons pour bien recevoir Fréjus, l'annonce de l'arrivée d'un ambassadeur du « grand roi » des Francs auprès de lui était propre à rehausser son prestige un peu neuf de fondateur de la dynastie nouvelle.

* Dans « Relation d’un voyage fait dans la Mauritanie, en Affrique, par ordre de sa Majesté, en l’an 1666, par le sieur Roland Fréjus » (Éd. G. Glousier 1670) Roland Fréjus rapporte que son bateau est arrivé à Alhucemas le 9 avril 1667. Il avait appris à Melilla que le cheik Aaras, gouverneur d’Albuzemès et beau-père de Moulay Arxid (Rechid), avait été vaincu et emprisonné par son gendre. La mission initiale n’avait plus d’objet.
Fréjus entrevoit la possibilité d’une rencontre avec Moulay Arxid lui-même ; il lui fait parvenir un courrier où il se dit porteur - ce qui est faux - d’une lettre du roi Louis XIV et demande à être reçu par Moulay Arxid qui séjourne à Taza (quand il n’est pas en campagne). Une réponse positive lui parvient le 19 avril et il décide de rejoindre Taza, à travers le Rif.

C'est avec ravissement que Fréjus nous décrit l’idyllique région pourtant assez maussade en réalité qu'il traverse « le pays est trop beau et bon » nous dit-il, à ce point que les lions même, et Fréjus à travers le Rif en aurait vu de nombreux, ne sont pas méchants, assure-t-il.

Amant de la nature avant nos romantiques qui, décidément ne l’ont pas inventé, il s'arrête à chaque instant sur des hauteurs admirer le paysage et contempler la mer lointaine ce qui lui donne, nous confie-t-il, « un extrême plaisir ». La caravane qu'il dirige traverse avec son escorte berbère des bois de haute futaie ( le Maroc semble avoir été singulièrement déboisé sous l'anarchie alaouite au XVIIIe et XIXe siècle).
« Je considérai une quantité de grandes et hautes collines, au sommet desquelles nous vismes toutes les terres cultivées et verdoyantes … De sorte que c’estoit un plaisir qui charnoit tous les sens de voir tout à la fois plusieurs coteaux tapissés de diverses couleurs et verdures, avec une quantité prodigieuse d'arbres et bois taillis, parmi lesquels on voyait aussi des petites huttes ou logements faits de pierre. »
Les coteaux étaient mieux cultivés que les plaines et on lui expliqua que c'était à cause des courses et invasions des Espagnols « ennemis déclarés » des Riffains dès lors et dont les brigantins ravageaient incessamment les côtes du Rif.


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Paysage du Rif (mai 2012)

Les repas qu'on offre à Fréjus, kesras, oeufs, fèves et laitages lui paraissent malgré tout chétifs et il a le regret de la cuisine française **. À travers d'épaisses forêts où sourdent des sources nombreuses, où bondissent des cascades Fréjus atteint Beni Bou Yacoub puis Tafersit. Les caïds festoient à qui mieux mieux l'envoyé de Louis XIV de plus en plus enchanté du pays et de ses habitants. Le 25 avril Fréjus campe à Timesrag, après avoir franchi l’oued Msoun et arrive en vue de Taza qui, de loin, lui semble une très grande ville, le 26

** nous signalerons cependant que le trajet entre Alhucemas et Taza s’effectua pendant la Semaine Sainte et Fréjus fait remarquer qu’ils ont fait « maigre ». Ils avaient cependant anticipé sur le dimanche de Pâques (le 25 avril) en faisant cuire la veille nombreuses volailles et moutons pour pouvoir « déjeuner » dès le matin. Un des catholiques de l’expédition n’a d’ailleurs pas pu résister à la tentation et mangea la viande dès le samedi Saint … ce qui fut remarqué, nous dit Fréjus, par certains « Mores », peu convaincus par ailleurs par la justification pseudo-médicale avancée pour expliquer cette transgression. «  Ou bien, me dit en souriant, le cheikh Amar, il est de quelle qu'autre religion car je sais qu'il a mangé de la viande auparavant! Ce qui nous fait voir, Messieurs, que ces gens que nous tenons pour des grossiers et des ignorants ne le sont pas et prennent garde aux choses ! »

Une foule « immense » se presse sur le passage de Fréjus que vingt gardes noirs ont peine à préserver de la curiosité de la foule. Avant son entrevue avec le Sultan « l’Ambassade » est régalée de festins dignes des noces de Gamache, la cuisine marocaine conquiert cette fois-ci Fréjus.
Les congratulations succèdent aux congratulations et comme, ainsi qu'il l’observe, notre envoyé n'est pas muet et qu'il offre « d'aller publier par toute l’Europe la grandeur et la magnificence du Roy Moulay Arxid » il a un fort grand succès. Cette façon de parler avec franchise, dit-il, sans sourire, est agréable aux Mores, et il distribue des boîtes de confitures. «  Avec ces gens il faut toujours avoir les mains prestes pour leur donner » observe-t-il. Les cuillères et fourchettes dont Fréjus use pour manger, suscitent une grande curiosité.

Le 28 avril, enfin, le sultan reçoit Fréjus en grande pompe, celui-ci lui remet une prétendue lettre de Louis XIV « notre invincible monarque » qu’il a fabriquée habilement et substituée à celle adressée au cheikh Aaras. Le bruit de cette réception, assure mensongèrement Fréjus et de l' amitié de Louis XIV pour Moulay Rachid, détermina les gens de Fez-Djedid à lui faire une soumission …qui avait déjà eu lieu dix mois auparavant, mais l’imagination de notre marseillais s'en donne à coeur joie.
Il voit en Moulay Rechid un Louis XIV bien qu'il ait une tête de nègre, avec de bizarres yeux bleus et une grande barbe châtain. Fréjus s’abouche ensuite avec un certain Aaron Carsinet, le juif qui est l’argentier du sultan, pour le conquérir moyennant finances, à ses plans commerciaux.
La région de Taza depuis l'oued débordant « d’aloses » jusqu'aux collines toutes vertes « dont l’aspect est si agréable qu’il charmait tous nos sens » et au Mont Atlas « qui est toujours couvert de neige, depuis le milieu jusqu'au sommet » le ravit.

Il fait néanmoins quelque propagande et ne manque pas, après avoir assuré le cheikh chargé de sa sûreté, de son plaisir à voir une campagne si belle, d'affirmer qu'elle serait encore plus belle si elle était cultivée à la française ; et c'est l’avantage, conclut-il diplomatiquement, que vous devez espérer de la communication des Français qui vous montreraient le secret de joindre l'utile à l'agréable dans vos possessions.
En dépit d’efforts redoublés de Roland Fréjus, Moulay Rechid ne lui accorda point une seconde audience tout en faisant remettre à celui-ci une lettre assurant Louis XIV de son amitié et du plaisir qu'il aurait à recevoir des commerçants français au Maroc, en particulier les marchands de poudres, lances, épées, draps et toiles. Roland Fréjus se rendit compte en quelque sorte de son échec qu’il pallie en affirmant que le Sultan lui a donné de merveilleuses assurances verbales, car il faut s’attacher avant tout «  à la parole qu’il donne, après laquelle on peut se confier plus que si l’on tenait ce qu’il vous a promis ».

Arrivé au terme de son voyage, le bateau qui devait prendre Fréjus se trouva avoir dû gagner le large pour échapper à des pirates, se réfugier au Penon de Velez dont le gouverneur assura malicieusement au capitaine que Moulay Rechid avait retenu Fréjus et les siens comme esclaves. Le scepticisme du capitaine sauva Fréjus qui retrouva son bateau à Bou Azzoun le 31 mai. ***
*** ( Fréjus était revenu à Alhucemas le 5 mai !).
Fréjus essaya, pour ne pas revenir les mains vides de son aventureuse mission de faire de grands achats de cire, mais une coalition de marchands juifs en fit soudain monter le prix qui ne fut ramené à des proportions raisonnables que moyennement un fort fabor au Caïd du lieu. Là-dessus, notre ambassadeur acquit une maison, destinée à servir de comptoir à la compagnie commerciale des Alhouzemès en formation, qu'il laissa à un sieur Royer en qualité de vice-consul et regagna Marseille.

Le rapport de Fréjus, verbeux et naïf tout ensemble, ne paraît pas avoir longtemps retenu l'attention du positif esprit de Colbert. Les fortins français dont Fréjus demandait, appuyé par le Duc de Beaufort, le fameux « roi des halles » alors Amiral de France, l’installation à Alhucemas, à Bou Azzoun et aux îles Zaffarines ne furent pas construits.
Les agents de la compagnie eurent les pires difficultés avec les Caïds de Moulay Rechid, notamment un certain Ahmed ben Souda, qui en fit incarcérer le représentant à Tétouan, qui ne fut sauvé de la mort que par l'assistance de Trinitaires espagnols de la Rédemption.

Une seconde mission de Roland Fréjus qui emportait avec lui, un présent de quatre canons pour le Sultan en 1671 sembla avoir de meilleurs résultats. Roland Fréjus remit à Fès ses cadeaux avec une lettre de Louis XIV, le 1er avril 1671. Il avait été malheureusement devancé auprès du chérif par Lord Howard, ambassadeur extraordinaire du roi Charles II et le consul Heppendops des États de Hollande.

Bien accueilli d’abord, il commis l'imprudence de se laisser dérober le plan du fort que Louis XIV projetait d'édifier aux Albouzemès,et fut incarcéré plusieurs mois. Moulay Rechid averti des projets de Louis XIV, construit le fort pour lui-même mais il fut pris en 1673 par la flotte espagnole du Prince de Monte-Sacro qui y jeta les bases de leur préside actuel d’Alhucemas.

Nous n'avons malheureusement pas le récit de la visite de Roland Fréjus à Fès **** qui l’a sans doute émerveillé plus que Taza. La perte est à déplorer car ce marseillais disert nous aurait donné de curieux renseignements sur la ville, qui, grâce à la paix reprenait alors quelque prospérité.
Quoi qu'il en soit Roland Fréjus méritait assurément bien que le nom d'une rue dans la Ville Nouvelle de Fès, commémorât sa tentative manquée de pénétration pacifique française dans le Rif et son séjour à Taza et à Fès auprès de l’heureux fondateur de la dynastie actuellement régnante au Maroc.

**** Roland Fréjus ne séjourna pas à Fès lors de son voyage de 1667, où il ne dépassa pas Taza. Il n’en parle pas dans sa « relation du voyage ». Il n’a rien écrit sur sa mission de 1671.

Il pourrait être intéressant que les familiers de la rue Roland Fréjus à Fès nous propose une liste des commerces et le nom des habitants de la rue, avec pourquoi pas des photos !

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