Le boucher de Fez qui vendait de la viande d’âne pour de la viande de boeuf
Envoyé par:
georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: lun. 26 janvier 2015 00:01:04
"Le boucher de Fez qui vendait de la viande d’âne pour de la viande de boeuf est châtié suivant des usages locaux."
Un petit article, de Marcel Bouyon, dans le Progrès de Fez (février 1940) qui raconte les mystifications extravagantes de ce boucher de la médina qui débitait sous forme de « kefta » du bourricot premier choix.
Ce guezzar à Lyon eut fait fortune et son bourricot transformé en saucisson eut comme une vogue légitime, mais à Fez c'est tout différent ; ici la viande d’ hamir est beaucoup moins appréciée que celle du chameau son frère de misère.
Après tout ce boucher a interprété à sa façon le Dahir interdisant la viande de boeuf et de veau deux jours par semaine et à montrer à maints fassis que la viande d'âne n'était pas plus indigeste que celle de boeuf ; et sans l’imprudence de la femme de ce novateur qui laissa sortir du couffin, tombeau provisoire de la victime du sacrifice, les deux oreilles sanglantes de Maître Aliboron, les gens de Kalkeliyine se délecteraient encore de la kefta du mâalem Boukhris.
Cette mystification aura des conséquences redoutables pour son auteur autant qu'imprévues pour ses victimes ; car, des oulémas consultés estiment que toutes les marmites ou tajines ayant servi à faire cuire cette viande impure et interdite par le « Livre » devront être détruites ou tout au moins formellement prohibées pour les usages culinaires des moumenines.
Voici donc une formidable hécatombe de casseroles en perspective ! Les fassis, gens spirituels - ne les appelle-t-on pas les parisiens du Maroc - ont immédiatement chansonné la mystification du boucher Boukhris et notre expression « faux comme un vieux jeton » est en passe de devenir en Médina « faux comme un boucher de Kalkeliyine » !
Cette mésaventure situera peut-être une époque : l'on dira qu’un tel est né dans le courant de l'année où l'on fit manger de la viande d'hamir en médina … et lorsqu’un fassi rencontre un habitant du quartier de Kalkeliyine, il lui demande d'un air perfide : « C’était donc vraiment délectable cette viande d’âne ».
Comme on le voit ce sacrifice de Maître Aliboron, insignifiant en lui-même va peut-être provoquer une révolution dans la vie courante … petite cause, grands effets !
Quant à notre boucher, en outre de la prison et d'une peine d’amende, il a subi la peine de la « taouïfa » ou la dégradation civique et professionnelle. Une peau d’âne autour du cou, il a été, au milieu d'une escorte de moghazenis promené dans les rues de la Médina, cependant que, sous les quolibets de la foule il était contraint de crier : « Tel est le châtiment des bouchers malhonnêtes ».
J'estime ce châtiment parfaitement justifié et approprié à la répression du délit et je regrette qu'il n'ait plus cours chez les européens, je dis bien qu'il n'ait plus cours car il fut de pratique courante jusqu'à une époque pas très lointaine et je me souviens lorsque j'étais tout jeune d'un « charivari » organisé à la campagne contre un boucher qui avait vendu de la viande de bête crevée.
Le boucher Boukhris, au cours d’une audience du Tribunal du Pacha, qui avait rassemblé toutes les notabilités de la ville, a été condamné à deux ans de prison pour faits attentatoires à la religion, en l’espèce vente de viande interdite, viande d’âne.
Cette mystification continue à faire l'objet de toutes les conversations en Médina, on la chansonne sous toutes ses formes et les oulémas et tolbas discutent à longueur de journée pour rechercher si la viande d’âne est interdite ou simplement « disqualifiée ».
Quant au pauvre bourricot, comme beaucoup beaucoup d’humains ignorés, pendant leur éphémère existence, il s'est acquis la célébrité par son martyre et la sottise d’un boucher rapace et maladroit.
Finalement ceux qui vendaient en France, en 2012/2013 de la viande de cheval sud-américain comme étant du boeuf allemand hallal n’avaient rien inventé: le « bourricotgate » a précédé le « horsegate ».