Date: dim. 29 juin 2014 12:13:33
Dans son livre « Le marcheur de Fès », Eric Fottorino à propos du Tritl de 1912 – qu'il situe d'ailleurs de manière erronée du 19 au 22 avril au lieu du 17 au 19 avril 1912 – rapporte une conversation avec « ses compagnons de table » au centre communautaire juif de Fès.
Le Sultan Moulay Hafid laisse les familles juives, assiégées au Mellah par les askri révoltés, se réfugier dans l'enceinte du palais et dans la cour de la ménagerie où certaines cages vides voisinent avec des cages encore occupées par les fauves.
Fottorino écrit, rendant compte de la discussion – où d'ailleurs certains participants étaient moins affirmatifs que d'autres sur le sujet- : « On a mis des Juifs en cage, à Fès, en 1912. Des images le prouvent. Elles furent prises par Boushira, le grand photographe de la ville. On aperçoit des femmes et des enfants derrière les grilles, sales et dépenaillés, à proximité des fauves. Ces clichés traduisent l'ambiguïté de cette relation entre Juifs et Musulmans. Protégés et encagés ».
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J'ai toujours pensé que cette affirmation « On a mis des Juifs en cage, à Fès, en 1912 » était fausse. Des Juifs ont bien été dans des cages mais on peut envisager qu'ils aient préféré se mettre à l'abri des intempéries dans des cages plutôt que de rester en plein air pendant un temps indéterminé. Le fait de voir que c'étaient surtout des femmes et des enfants qui étaient encagés allait dans ce sens.
Je viens de lire des lettres ou des rapports d'Amram Elmaleh, directeur de l'AUI à Fès, écrits à l'époque et transmis au président de l'AIU à Paris. Voilà ce qu'il écrit à propos des Juifs en cage :
« … les Israélites sont là dans la cour du Palais, sans abri, sans vêtements, couchés sur la terre nue et enfermés dans les cages aux lions qui leur servent d'abris, grelottant de fièvre, pris de dysenterie … (lettre du 22 avril 1912) ».
« … la population juive … entassée le premier jour dans une cour étroite, put plus tard occuper les vastes cours intérieures du Palais et la ménagerie où les cages des fauves même servirent d'abri … ». (Rapport 22 novembre 1912, d'Amram Elmaleh).
« … Pourtant la présence des soldats français exerçait une action salutaire sur Moulay Hafid, qui se décidait à sauver une population d'environ dix mille âmes, errante de par les rues, la plupart sans vêtements. Les jardins du Sultan nous étaient désignés pour refuge et là, sans distinction de sexe, nous étions parqués dans des écuries, dans les cages d'une ménagerie, partout enfin où nous pouvions avoir un abri contre la pluie diluvienne qui tomba pendant ces jours néfastes … ». ( Rapport officiel du 29 octobre 1913 sur l'émeute de Fès du 17 avril 1912).
Dix mille personnes s'entassèrent pendant plusieurs jours dans les jardins du Sultan et on peut penser que les places dans les cages - vides - de la ménagerie étaient particulièrement recherchées dans des conditions météorologiques difficiles !
Je signalerai enfin que l'interprétation du Tritl « une manipulation française pour justifier la mise en œuvre du protectorat de 1912 qu'incarna Lyautey » me semble tout aussi erronée que celle des Juifs mis en cage : le Traité entre la France et le Maroc avait été signé le 30 mars 1912 entre Eugène Régnault, représentant de la France, et le Sultan Moulay Hafid. La plupart des historiens considère que la signature du traité est une des causes des événements de Fès d'avril 1912.
« Le marcheur de Fès » n'en demeure pas moins très agréable à lire en particulier pour nous anciens fasi.