Forum ADAFES (Amicale Des Anciens de FES
Faits historiques, photos et cartes postales 
Fès et sa région :  Forum ADAFES
FÈS TRIPLE EN UNE OU FÈS VUE PAR UN SUISSE EN 1933
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: ven. 13 février 2015 16:33:16

Fès, triple et une … ou Fès vue par un suisse en 1933



Jean Martin, directeur du « Journal de Genève » fait partie d’une caravane de journalistes suisses qui visitent Fès à l’automne 1933.


Voici ce qu’il écrit le 4 décembre 1933 sous le titre « Fès, triple et une ».

« Dès le XIème siècle Karaouiyine et la ville des Andalous ne forment plus qu’une Cité : Fès, aujourd’hui Fès el Bali, la vieille Fès. Deux siècles plus tard, un peu plus haut dans le vallon, les Berbères édifient la deuxième Fès : Fès-Djedid, Fès la neuve, avec le quartier Juif du Mellah. Huit cents ans s’écoulent, et plus haut encore, à quelque distance, les Français construisent une troisième Fès, Fès ville nouvelle. Fès ville européenne. Trois villes et cependant une seule cité : Fès, triple et une (El Médina).

« Fès el Bali, la merveille des merveilles, a été décrite cent fois, et sous toutes les plumes - ou presque - les mots « la mystérieuse » se sont irrésistiblement attachés à son nom. Je n’aime pas beaucoup ce « Fès la mystérieuse » : le mystère trop bien étiqueté perd de son mystère. Fès el Bali demeure toujours, il est vrai, un mystère pour l’âme européenne, mais est-elle un mystère pour l’âme arabe ? Fès, c’est plus qu’un mystère : c’est tout un monde ; un monde du passé et un monde d’aujourd’hui, parce que, tandis que tout évolue autour de lui, l’Islam reste semblable à lui-même.

« Rues et ruelles. Fontaines et portes. Étalages de légumes et souks des commerçants. Taches de soleil dans les ruelles sombres. Ici l’orfèvrerie finement ouvragée. Là, les cuirs aux dessins géométriques. Un ruissellement de couleurs : les teinturiers. L’antre du feu : les forgerons.

« Au milieu de cette frénétique animation, les mosquées : les innombrables mosquées avec leurs minarets, et les écoles où se forment aujourd’hui, comme il y a dix siècles, les jeunes savants de l’Islam. Puis, au détour d’une ruelle, c’est le palais d’un riche marchand arabe dont les esclaves - des esclaves qui ont toujours le droit de reprendre leur liberté - nous servent le savoureux thé parfumé à la menthe.

« Sitôt que l’on quitte une de ces oasis de repos pour rentrer dans la circulation de Fès, tous les sens à la fois s’imprègnent de cette féerie de bruits, d’odeurs, de couleurs et de formes que la mémoire est incapable d’enregistrer à cause de leur multiplicité, et dont il reste une griserie étrange, la griserie de se sentir vivre dans un monde qui n’est pas le nôtre, dans un monde dont on ne sait s’il est du passé, du présent ou de l’avenir, dans un monde dont la trépidation même marque l’implacable stabilité. Voulez-vous connaître la vie des hommes avant l’instauration des fabriques, voulez-vous voir le royaume des artisans ? Allez à la Médina de Fès.

« Étourdi, capté par cette Cité, fuyons-la un moment: regardons-la du dehors. À l’horizon, de chaque côté, des montagnes ; plus près, des collines. En bas, le fleuve, le Sebou. Au milieu, un torrent de maisons qui dévalent la pente pêle-mêle avec les oueds et la verdure. Un torrent qui s’est figé là il y a des siècles et qui y est demeuré. Un torrent ? Ne vaudrait-il pas mieux dire un glacier ? Voyez ici ses moraines caillouteuses, là ses replats avec ses crevasses, et sur la pente les séracs, les cent-vingt séracs que forment les cent-vingt minarets de Fès.

«  Et Fès-Djedid ? Intéressant aussi, quoique moins savoureux que Fès el Bali. Parcourez le Mellah, regardez les descendants de Jacob, et vous sentirez, sans bien la comprendre, l’hostilité originelle qui oppose Arabes et Juifs, et que contient la force à la fois prudente et ferme du protectorat français.

« Plus haut encore c’est Fès la Neuve, que la sagesse des Français n’a pas construite en style néo-arabe, en ersatz européen d’art africain. De grandes lignes blanches horizontales et verticales d’une parfaite simplicité, sans ornements superflus. Un style moderne qui s’apparente ici parfaitement au paysage, alors qu’il heurte les yeux dans le nord, au milieu des vieilles demeures gothiques ou des maisons de la Renaissance. Grande ville, grands édifices, grands boulevards : tout est large, aéré, tonifié par le grand soleil d’Afrique. Une ville du XXème siècle à côté d’une ville du VIIIème . Et cependant c’est la même ville.

« C’est Fès, la capitale du Maroc du nord, le centre où fermentent les idées et les agitations politiques, le centre où s’affrontent sans se mélanger le génie français, le génie arabe et le génie hébraïque. C’est Fès triple et une ».

À vouloir, nous « vendre » Fès « trois en une » notre ami suisse finit par mélanger le Djedid, la neuve et la nouvelle … mais sa comparaison avec les glaciers est rafraichissante tant, qu’avec la chaleur estivale, les séracs ne finissent pas dans le Sebou !


----------------------------------

Photographie aérienne de Fès-el Bali et Fès-Djedid, avant 1920

Pièces jointes: 000 Vue aérienne.jpg (421.5KB)  
Options: RépondreCiter


Désolé, seuls les utilisateurs enregistrés peuvent publier dans ce forum.