Date: dim. 25 janvier 2015 18:34:36
LA CAPTIVITÉ ET LA MORT, À FEZ , DE L’INFANT DON FERNANDO DE PORTUGAL, AU XVème SIÈCLE (1437-5 juin 1443)
J'ai retrouvé cet article, de Maurice DESMAZIÈRES, probablement écrit au début des années 1930
Ce récit nous montre les luttes du Vieux Maroc contre les Portugais et où ces derniers n’eurent pas toujours le dessus; il lève un voile sur la vie des chrétiens à une époque lointaine d’un demi-millénaire.
" Don Duarte (Edouard) 11ème roi du Portugal, désireux de montrer qu’il n’était pas moins héritier de la piété de son père Jean 1er, que de sa couronne, décida, en 1437, de continuer les conquêtes paternelles en Afrique. Il leva une petite armée de huit mille hommes, dont il donna le commandement à son jeune frère, l’Infant Fernando ; cette armée devait traverser le détroit, assiéger et conquérir la ville et la forteresse de Tanger.
On avait imprudemment annoncé cette expédition depuis plusieurs mois et les Tangérois en étaient avisés. Le Pape avait déjà sanctifié par une bulle cette nouvelle croisade, qui pourtant n'était pas populaire, le roi Don Duarte et l’Infant Don Pedro la déconseillaient, seuls la reine et l’Infant Don Henri la prônaient ouvertement car ils voulaient procurer au jeune Infant Don Fernando l'occasion de faire ses premières armes et de se couvrir de gloire. Ce malheureux prince d'ailleurs, comme s'il prévoyait déjà sa fin tragique dans le « matamore » de Fez écrivait, avant de partir en campagne, un long et admirable testament publié dans la chronique de Mendes dos Remedios dont nous parlerons plus loin.
On avait demandé quinze mille hommes pour les envoyer à Tanger : mais l'enthousiasme très modéré de la population ne permit de lever que huit mille hommes. Après la bénédiction du Pape, on n’osa plus reculer et l’escadre prit le large sous le commandement de Don Fernando.
LE DÉSASTRE DE TANGER
Les Maures de Tanger, avertis à temps, avaient mis leur ville en état de formidable défense : les marabouts et les Chorfas avaient lancé l'appel à la guerre sainte et obligé les petits potentats ou roitelets indépendants du Riff et du Gharb à faire la paix entre eux, pour courir sus aux chrétiens sous les remparts de Tanger. Abou Zacharia, de la branche Watasside de la dynastie Mérinide et régent de royaume de Fez, projetait alors une expédition sur la Tlemcen ou plutôt feignait de se diriger sur Tlemcen pour dérouter les tribus du Tafilalet qu'il voulait assaillir par surprise. À trois jours de marche de sa capitale, des émissaires vinrent le prévenir de l'arrivée prochaine des Portugais sous les remparts de Tanger ; il fit aussitôt demi-tour et, sans s’arrêter à Fez, marcha sur Tanger avec toutes ses forces.
Il vint des troupes du Riff, de l’Atlas, du Tafilalet, du Sous, et du Dra le plus extrême : à ce point que l'armée maghrébine comptait plus de soixante mille hommes.
Dès le début de l’expédition, à peine débarqués, les Portugais perdirent le contact avec leur flotte, et les musulmans dix fois supérieurs en nombre les écrasèrent aisément, les obligeant malgré leurs prodiges de valeur à signer une désastreuse capitulation.
Ils devaient payer un tribu et restituer Ceuta qu'ils occupaient depuis 1415. La flotte du Roi Jean Ier l'avait conquis du 15 au 21 août 1415 sur Salah Ben Salah, gouverneur de Ceuta (devenu indépendant de son suzerain le roi de Fez) l'antique Septum des Romains, la « Ept Adelphoï » de Ptolémée (les sept frères), la citadelle où Justinien avait édifié en 537 une basilique à la Vierge. Ceuta est d'ailleurs par excellence la cité chrétienne du Maroc du Nord, puisqu’à Ceuta, le 10 octobre 1227 sept frères mineurs - la rencontre de ce nombre est à souligner - recevaient la palme du martyre.
Les Portugais depuis vingt-deux ans occupaient ainsi le port méditerranéen des Échelles de Fez, à la grande colère et à l’indignation des vrais croyants qui considéraient la présence des chrétiens comme une souillure pour la terre d’Islam.
Outre la réédition de Ceuta, si douloureuse au coeur des Portugais - n’avaient-ils pas édifié une église et un couvent et instauré un siège épiscopal ?- l’Infant Don Fernando devait rester en otage jusqu'à la ratification par le roi Don Duarte de la capitulation. Une grosse indemnité serait en outre versée au régent Abou Zacharia al Wattasi.
Malgré la capitulation, qui prévoyait cependant une suspension des hostilités, les Musulmans poursuivirent les Portugais qui ne purent atteindre leur flotte et se ré-embarquer qu’à grand-peine.
La liste des signataires de cette capitulation montre combien étaient grandes la confusion des pouvoirs et l'anarchie dans l'Empire Mérinide du XVème siècle. Des noms de chiouks, de simples fquihs, de marabouts y figurent à côté des signatures des vizirs et des grands vassaux et au même titre qu’elles.
LA CAPTIVITÉ
L’Infant Don Fernando conservait avec lui son confesseur et quelques compagnons, mais il devait rester sous la surveillance de Salah Ben Salah jusqu'à la ratification définitive de la capitulation. On le traita d'abord avec les plus grands égards, en fils de roi. Mais les négociations de Lisbonne traînaient en longueur et pendant qu’à la cour du roi Édouard on discutait de la capitulation, Don Fernando écrivit lui-même à son frère pour s'opposer à la reddition de Ceuta. « À Dieu ne plaise, disait-il, qu'une forteresse qui a fait répandre tant de sang chrétien pour la conquérir, et qui est de telle importance pour le bien de la chrétienté soit mise aux mains des infidèles en rançon de ma liberté. ».
La plupart des conseillers du roi et le Pape lui-même intervinrent dans le même sens et la Convention ne fut pas ratifiée. Salah fatigué d'attendre et pressé par le régent de Fez, envoya sur la capitale le malheureux Infant, ainsi sacrifié pour sa patrie. Pendant le voyage à Arzila, le royal otage eut la douleur de perdre son confesseur Gilles Mendés, qui fut, par la suite enterré dans l'église chrétienne d’Arzila. Le voyage de Tanger à Fez se fit par la route habituelle et la petite troupe comprenant l’Infant Fernando et ses compagnons de captivité, fut livrée aux mains du régent Abou Zakaria.
L’émir Watasside, furieux de voir la capitulation non ratifiée à Lisbonne, entra dans une violente colère et il accueillit don Fernando non pas en otage ni en hôte de marque, mais en véritable prisonnier de droit commun. Sans avoir égard pour sa haute qualité, il considéra le jeune prince comme un esclave, mais il ne voulut pas le laisser avec ses compagnons de captivité à la prison commune, au « Daracana », l’actuelle Makina. Il fait construire, exprès, pour son prisonnier, une étroite cellule en planches mal jointes « sur le haut des remparts de Fez-Djedid, du côté où la muraille de Fez la neuve regarde contre Fès la vieille » suivant les propres termes de Diego de Torres rescatador espagnol qui séjournera à Fez au milieu du XVIe siècle.
Ce cachot très étroit d'une surface d’un mètre carré à peine ne pouvait garantir le prisonnier ni de la chaleur ni du froid ni de la pluie et l'infortuné captif se voyait privé du réconfort et des consolations que la présence de ses compagnons lui aurait apportées. L’un de ces portugais de la suite de l’Infant, Jean Alvarez, avait accompagné son maître depuis Tanger, il fut le témoin de ses six années de captivité et de sa mort ; il a laissé un récit très détaillé et fort émouvant de cette misérable fin d’un fils de roi. Il vante, à chaque page l'admirable piété et les vertus chrétiennes de son héros. La chronique de Jean Alvarez, témoin oculaire présente une incontestable valeur d’authenticité : elle figure en latin aux « Acta Sanctorum » à la date du 5 juin 1443; elle a été reproduite dans « la vie du Saint Infant » de Ramos et Mendes dos Remedios l'a publiée à Coimbre en 1911, avec l'appareil critique et bibliographique le plus sérieux.
------------------------------------------
Le cliché ci-dessus illustre l'article de Desmazières avec ce commentaire : Ce fut sur ces remparts orientés vers la Médina du côté où la muraille de Fez-la-neuve regarde contre Fez-la-vieille" suivant l'expression de Diégo Torrès, que fut vraisemblablement, installée l'étroite cellule en planches où était enfermé l'Infant Don Fernando du Portugal.
L'emplacement de la cellule de Don Fernando est situé ailleurs par Henri Bressolette dans une étude postérieure. ( je mettrai la photo dans le post suivant)
La cour de Lisbonne n'ignorait pas que la non exécution du traité entraînerait la captivité et peut-être le supplice du jeune prince. Elle se multiplia en démarches de toutes sortes pour racheter Don Fernando au prix de sommes importantes et offrit même de l'échanger contre le fils du gouverneur Salah Ben Salah, pour lors captif au Portugal.
Abou-Zacharia fut intraitable et prit plaisir à torturer son prisonnier dans l'espoir que le chiffre de la rançon serait encore augmenté et que le roi Duarte céderait enfin Ceuta pour obtenir la liberté de son frère. Il espérait aussi que lassé des mauvais traitements et des privations, Don Fernando solliciterait lui-même son rachat au prix des plus grands sacrifices pour sa patrie. Mais la constance et l'admirable courage de l'Infant ne se démentirent jamais et toujours il écrivit au roi son frère, de ne pas livrer Ceuta et de se refuser à signer un traité désastreux préférant la captivité et la mort à l'humiliation de sa patrie. « Grande exemplo, Nobilissima accao ! » comme écrit son biographe M. dos Remedios.
Les esclaves, durement traités, étaient employés à scier le bois ou utilisés dans les fours à chaux et les briqueteries de Bab el Guissa. Au Daracana, les esclaves chrétiens faisaient aussi des ouvrages en fer sous le commandement de renégats grenadins ou andalous. Travaillant sous le bâton, mal nourris ces esclaves n'avaient plus la liberté relative de pratiquer leur culte comme jadis au XIIIe siècle. En effet les Almohades, très tolérants, avaient autorisé le séjour des religieux franciscains au Maroc, la libre pratique du culte, l'usage des cloches et les Cordeliers, les Mercédaires et les Trinitaires circulaient librement à travers l’empire, de Marrakech à Fez, soit pour apporter aux captifs les secours spirituels soit pour des rachats ou rédemptions. De 1250 à 1350 la paroisse de la « Purissima Conception » à Fez-Bali, en face de l’actuelle chapelle St-Michel de la médina, comptait quatre à cinq cents fidèles recrutés parmi les captifs, la milice chrétienne du Sultan et les marchands génois, pisans, marseillais, installés à la Douane près de la Karaouiyine. Cette chapelle desservie par les frères mineurs, fut l’église Métropolitaine des évêques franciscains, lors de la création du siège épiscopal de Fez au milieu du XIIIe siècle avec l'évêque Agnello, « facensis épiscopus" comme dit sa bulle d’investiture. Les Mérinides (sous la poussée de l'opinion et l’ardente prédication des marabouts qu’exaspéraient les conquêtes des chrétiens sur la côte) furent beaucoup moins tolérants que les Almohades.
N’avaient-ils pas condamné au bûcher, à la fin du XIVe siècle, le mercédaire espagnol Julio del Puerto, qui fut supplicié précisément à Fez et le descendant d’Abou Zakaria, le sultan Ahmed el Watassi n’allait-il pas livrer au bourreau, toujours à Fez, le 9 janvier 1532, le franciscain italien André de Spolète qui périt aussi confesseur de la foi ? Il est même intéressant de noter que le P. André de Spolète périt en 1532 sur un bûcher édifié précisément face à Bab Dekaken, où le cadavre du Saint-Infant avait été exposé.
Don Fernando était donc soumis à la loi très dure de la captivité : il logeait avec les autres esclaves et travaillait aux écuries royales comme palefrenier. Son biographe nous le représente rongé de vermine, vêtu de loques, mais il retrouvait la nuit ses dévoués compagnons dont le sort l’affligeait plus que le sien.
Jean Alvarez a d’ailleurs noté, par le menu, tous les faits et gestes de son prince et il s’attendrit souvent sur l’effroyable destinée de ce fils et frère de rois, sacrifié à une capitulation honteuse pour les chrétiens.
2 modifications. Plus récente: 08/03/15 11:34 par georges-michel.