Date: sam. 28 juin 2014 15:06:41
LA PLACE NEJJARINE
L'un des endroits les plus pittoresques de Fès, longuement décrit par Pierre Loti dans son livre « Au Maroc » publié en 1890 aux éditions Calmann Lévy.
Loti, parle d'un lieu qui " semble un lumineux décor des Mille et une Nuits", sans d'ailleurs jamais citer le nom de Nejjarine.
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(Photographie du Service photographique de la Résidence. 1929.)
La description de Loti diffère un peu de ce que l'on peut voir sur la photographie, mais elle date de 1889, et en 1916 la fontaine et l'entrée du fondouk ont été rénovées.
Voici ce qu'il écrit :
« Là, tout à coup, s'élargit la rue étroite et obscure ; s'élargit en éventail, formant une sorte de place triangulaire où un rayon de soleil tombe d'un coin de ciel bleu. Le fond de cette petite place, est orné en son milieu d'une fontaine jaillissante : un arceau de mosaïques, qui est plaqué sur le mur d'angle d'une maison en saillie et d'où sortent deux jets d'eau tombant dans un bassin de marbre ; - tout cela si antique, si déformé, si déjeté, qu'il n'y a pas de mots pour exprimer des aspects de vétusté pareils – A droite de la fontaine, une ruelle pavée en casse-cou monte en pente raide et s'enfonce dans le noir sous une voûte écrasée et sinistre.
A gauche, une inimitable porte monumentale, plus belle qu'aucune porte de la ville, qu'aucune porte de mosquée – et du reste ne menant nulle part, que dans une cour triste. C'est une immense ogive, enguirlandée des plus rares arabesques, des plus fines mosaïques. Au dessus de cette entrée passe une large bande horizontale d'inscriptions religieuses, en faïences, lettres noires sur fond blanc. Au dessus encore, une série de petites ogives alignées, et remplies chacune d'arabesques différentes, fouillées en broderie, en dentelle – les unes à très grands dessins, alternant avec d'autres à dessins très petits, de façon à accentuer encore la variété savante de l'ornementation.
Et plus haut encore, un indescriptible couronnement en stalactites déborde sur la place, formant comme un linteau très saillant, comme une marquise. Toutes ces stalactites, absolument régulières et géométriques, s'emboîtent les unes dans les autres, se recouvrent, se superposent en masses d'une complication extrême ; par endroits, on dirait les mille compartiments d'une ruche d'abeilles ; ailleurs, plus haut, cela semble des pendeloques de givre. Et l'ensemble de toutes ces choses si soigneusement travaillé forme des séries d'arceaux d'une courbure charmante festonnés merveilleusement. Une couche de poussière terreuse éteint les couleurs des faïences ; toutes les fines sculptures sont écornées, noirâtres, mêlées de toiles d'araignées et de nids d'oiseaux. Et cette sorte de porte de fées donne naturellement l'impression d'une antiquité extrême, comme du reste cette fontaine, cette place, ces pavés, ces maisons croulantes, comme toute cette ville, comme tout ce peuple … Du reste, l'art arabe est tellement mêlé pour moi à des idées de poussières et de mort, que je ne me le représente pas bien aux époques où il était jeune, avec des couleurs neuves ... »