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Fès et sa région :  Forum ADAFES
A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 5 janvier 2014 18:15:12

En mars 1953, Christian HOUILLION, journaliste au Courrier du Maroc part à la (re)découverte des grandes industries de Fès. Il propose des "visites" d'Adour Sebou, des moulins Baruk, des établissements Milleret, de la SIOM, des frigorifiques de Fès, de la Branoma et de la Makina.

J'ai retrouvé une grande partie de ces articles et les mettrai en ligne dans les semaines à venir.

Voici l'introduction à ces visites : Houillion interroge Léon Barraux, témoin des années 20 pour faire le point sur la situation de départ.


Fès se meurt ! Fès est morte ! N'entend-on pas souvent signer ainsi, brutalement, l'acte de décès de notre ville ? Affirmation gratuite sans doute, mais qui, cependant, repose sur certaines données valables. Pour les « anciens », Fès est la capitale politique, commerciale, intellectuelle du Maroc. Le « politique » lui a échappé au profit de Rabat. Le « commercial » ne lui appartient plus depuis que Casablanca, naguère minuscule bourgade, a pris la place. L'intellectuel seul demeure, encore qu'il ne soit plus question aujourd'hui d'exclusivité fassie. Pour les anciens, Fès n'est plus tout cela ; politicien par atavisme et par disposition d'esprit, le Fassi émigre vers les villes où la politique, plus que jamais, est et sera reine. Commerçant sans égal le Fassi émigre créant des succursales à Casablanca avant d'y construire son « home ». Il ne laisse plus à Fès que des succursales plus ou moins dynamiques. Intellectuel, le Fassi émigre pour les mêmes raisons qui font que nous quittent les politiciens. Alors, que reste-t-il à Fès ?

Il lui reste le présent et l'avenir. L'un et l'autre sont inscrits sur le sol. Il y a trente ans, il n'y avait pas de ville nouvelle et il était encore moins question de la nouvelle ville marocaine de Kasba ben Debab. Il y a trente ans il n'y avait pas, à Fès, 250 000 habitants et le niveau de vie de ceux qui habitaient la ville et la région n'était en rien comparable à ce qu'il est devenu depuis. Il y a trente ans, il n'y avait pas à Fès les grandes usines que d'autres villes marocaines peuvent, à juste titre, nous envier.

Nous pourrions nous plonger dans le puits de la statistique et dresser un bilan qui servirait à détruire les assertions des pessimistes. Ce ne serait pas une méthode infaillible de prouver qu'ils aient tout à fait tort : car ils ont peut-être, en définitive, un peu raison. Parallèlement à un essor certain (voyez les maisons que l'on élève, les avenues que l'on construit, la campagne alentour dont l'essor est indiscutable et prometteur, les usines que l'on bâtit quand même!), on dénote à Fès une nonchalance, une somnolence certaines. Il ne nous appartient pas présentement d'en analyser les causes diverses. Nous tenterons simplement au fil d'une première enquête à travers les grandes industries fassies les plus caractéristiques de l'importance commerciale de Fès de prouver que notre ville n'est pas morte mais qu'au contraire les plus grands espoirs lui sont permis.




L'économie de la région a pris son essor il y a trente ans, mais nous n'avions pas « la cote » nous dit l'un des plus vaillants promoteurs de cet essor.



Paris ne s'est pas fait en un jour. Fès non plus. Vérité de La Palice. Encore faut-il l'admettre lorsqu'elle nous intéresse directement.

Au belvédère des Mérinides, l'étranger, passager rapide s'entendra raconter par un guide la leçon toujours la même : « C'est aux alentours de l'an 800, alors que Charlemagne était empereur de Français que Moulay Idriss II fonde la ville de Fès ». Suivront l'histoire, plus ou moins vraie, et la légende.

Pour en savoir davantage, interrogez des ouvrages d'historiens. Par exemple, l'excellente thèse de M. Letourneau sur « Fès avant le Protectorat ». Vous y découvrirez la grande histoire de Fès, la petite se fait tous les jours. Elle a ses témoins. Pour aujourd'hui, nous y sommes. Pour les années plus lointaines du début du Protectorat, il reste parmi les Marocains et les Français quelques témoins.

Que faisions-nous à Fès, jadis ?

« La ville nouvelle de Fès est née aux alentours de 1920. Nous n'étions alors que quelques Français, vivant tous en Médina ou au Mellah. Nous étions là, certains depuis fort longtemps. L'esprit aventureux était le nôtre et nous venions avec au cœur, un idéal.

Que faisions-nous à Fès ? Du commerce, importation de denrées alimentaires, de tissu en provenance de Manchester, draps d'Allemagne et d'Autriche, soieries de France ; plus tard cotonnades du Japon. Exportations de peaux de moutons et de chèvres, de laine et des babouches vers le Sénégal et l'Egypte. Tenter de comparer les conditions et le rythme de la vie d'alors avec celle de 1952 est inutile. Tout a changé ».

En face de moi, un homme au regard clair et droit, à la barbe de papa Noël, au sourire fugitif, à la voix franche et nette. Au delà du bureau qui nous sépare et accroché au mur juste au-dessus de sa tête, un résumé de quelques-unes des plus belles années de sa vie.

« Le titre de président honoraire à vie a été décerné par acclamation à M. Barraux Léon, officier de la Légion d'honneur, conseiller du commerce extérieur, en séance plénière le 16 janvier 1935 ».

« En hommage reconnaissant d'un passé tout de dévouement à Fès pour les éminents services qu'il a rendu pendant plus de treize ans de présidence ».

Le diplôme est signé au nom du président de la Chambre française de Commerce de Fès *. De tous ceux qui ont été à la tête de cette compagnie avant M. Fernandez, il est le seul survivant. Pour tous ceux qui l'ont vu à l'oeuvre, il reste l'un des Fassis les plus ardents à la tâche et à la défense des intérêts de notre région.

( * Chambre française de Commerce et d'Industrie de Fès. Créée comme Chambre mixte d'Agriculture et de Commerce par arrêté résidentiel du 20 avril 1919 et devenue Chambre de Commerce par arrêté du 12 février 1932.
Présidents successifs : MM. Jourdan jusqu'en 1921, Barraux en 1921, Baudrand en 1928, Suavet en 1931, Barraux en 1932, Bestieu en 1935, Hugot en 1938, réélu en 1941 et 1944, Fernandez en 1947, réélu en 1950.)

Qu'avait-on alors à défendre ?

« La ville nouvelle de Fès venait de naître. Le Maroc moderne, comme une belle au bois dormant assoupie depuis des siècles semblait sortir d'un rêve. Les routes c'était … l'avenir. De chemins de fer point en 1920. Or le développement économique de la région, la création de la ville nouvelle donnèrent naissance à des activités diverses. Des minoteries furent créées, on eut besoin de ciment, de chaux, de tuiles et de briques : quelques entreprises s'installèrent ; il en est parmi elles qui ont prospéré. Les fours à chaux ont disparu. Nous avons beaucoup lutté pour avoir une usine à ciment : il s'en installa une à Petitjean, les résultats furent défavorables ; aujourd'hui c'est Meknès qui a la cimenterie. Nous avons voulu faire installer le gaz comme à Tunis : nous n'y avons pas réussi. Il avait été question aussi de la création d'une usine de pâtes à papier : « échec ».

Ces usines ont pris place, d'autres préparaient leur installation. Mais comment étaient résolus sur le plan municipal et sur le plan gouvernemental les problèmes majeurs. Comment Fès dont on dit, à tort, qu'elle se meurt, a-t-elle pris le départ ?

« Il y avait tout à faire et pourtant les problèmes ressemblaient souvent à ceux qui se posent aujourd'hui : simple différence de proportions. Nous devions avant tout réunir des documentations et tenter d'établir des liaisons avec la côte occidentale. Jusqu'à cette époque, tout se faisait par Tanger. On a réalisé que Casablanca était susceptible de devenir un centre important : c'était la thèse de l'administration. On a donc voulu lancer des antennes en cette direction. Le premier contact à établir devait l'être avec Meknès. Ce ne fut pas toujours sans heurts amicaux. Mais est-ce que cela a changé ? ».

Les grands problèmes du temps

Cela a-t-il changé ? Tribunal, frigorifiques, terrain d'aviation, cimenterie, ferme expérimentale. Vraiment cela a-t-il changé ?

« Non, nous ne nous sommes toujours pas entendus avec Meknès. Notre voisine il faut le dire a beaucoup de chance. Elle eut pour premier administrateur un homme de très grande valeur qui était en outre le « chouchou » de Lyautey : Poeymirau. Il a voulu faire d'une région géographique un ensemble économique cohérent et riche. Il a réussi. Ses successeurs ont bénéficié de sa cote et la région se prêtait à une expérience qui, si audacieuse fût-elle alors, a magnifiquement réussi ».

Nous n'avions pas la cote

« Pour nous ce fut différent. On a fait à Fès ce que l'on a pu. Mais nous n'avions pas la « cote ». Lyautey n'a jamais oublié l'accueil qui lui fut réservé les 17,18, 19 avril 1912 : il y eut des émeutes alors qu'il était dans la ville ; il ne l'a jamais pardonné à Fès.*

*(Cette affirmation est fausse, c'est à cause des émeutes de Fès que Lyautey est nommé Résident général au Maroc. Au moment des émeutes Lyautey était à Rennes. Un décret du 27 avril 1912 nomme Lyautey commissaire résident général de la République française au Maroc . Il arrive à Fès le 24 mai 1912 et les premières attaques des tribus berbères ont lieu la nuit suivante. C'est le général Gouraud qui dégage Fès le 28 mai libérant Lyautey, réfugié avec son état-major au Dar Mennhebi. C'est peut-être ces attaques de mai 1912 que Lyautey n'a pas pardonné … si l'on veut bien admettre cet argument comme seule explication de la « décote » de Fès).

Il a fait de Rabat la capitale. Les administrateurs ont fait le maximum. Gouraud était un homme charmant et de valeur. Puis il y eut la guerre et les chefs se sont succédés rapidement. Parmi les plus grands Maurial qui connaissait très bien le milieu marocain et la langue arabe, eut une influence considérable. Homme d'une haute culture, très diplomate, il avait lui aussi l'oreille de Lyautey. Et Fès allait son chemin en dépit des obstacles. De Chambrun, le colonel Simon firent une excellente besogne. La ville nouvelle grandissait, les rues et avenues étaient construites, téléphone et télégraphes modifiaient les conditions d'existence, l'essor était indiscutable ».

Fès, la ville de Moulay Idriss n'est plus la capitale. Pendant qu'elle grandit autour d'elle le Maroc aussi se développe. Cet essor on le découvre au Conseil du gouvernement.

« Nous nous y retrouvions venant de tous les horizons géographiques pour préparer le Maroc d'aujourd'hui. Les batailles homériques mais toujours verbales ne manquaient évidemment pas ! Comme aujourd'hui. On parlait surtout portes et routes. Peut-être a-t-on fait trop de ports.

Chacun voulait avoir sa part pour sa région et chacun se défendait hardiment. Les Fassis se sont battus longtemps pour obtenir la ligne de chemin de fer Fès-Taza-Oujda : nous avons gagné et il ne semble pes aujourd'hui que l'on ait à s'en plaindre. On a senti peu à peu que la grosse industrie allait s'instaler à Casablanca : j'ai toujours considéré que c'était dommage et surtout dangereux ».

Le présent quel est-il ?

Les mêmes problèmes. Les mêmes batailles pour le même idéal. Des arguments analogues. Des résultats. Pour la génération de ceux qui peuvent dire « en 1920 la ville nouvelle n'existait pas, nous l'avons vue et aidée à naître », le chemin parcouru est très long. Des souvenirs qui s'envolent. La ville nouvelle c'est une « unité » pour les urbanistes. Ce n'en est pas une pour les économistes. Ce n'en sera bientôt plus une pour les sociologues. Médina, Mellah, ville nouvelle ne formeront plus qu'un bloc de Bab Ftouh à Dokarat, de Bab Semmarine à Kasba ben Debab. Cet ensemble, ce sont des consommateurs et des travailleurs. Parce qu'ils sont à Fès deux cent cinquante mille et dans la région deux millions il était logique que des industries s'installent à Fès. Il est logique de prévoir qu'elles se multiplieront.

( A suivre les visites ... Adour-Sebou)

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 5 janvier 2014 22:55:46

L'ordre de présentation des différentes industries est fixé par l'ancienneté.

La plus ancienne est la Société ADOUR-SEBOU


Acte de naissance : Créée en 1921, la société industrielle et commerciale « Adour-Sebou » avait pour but de relier par une ligne maritime les ports de Bayonne et de Port-Lyautey et d'échanger les produits des bassins de l'Adour et du Sebou.

Des chalets en bois des Landes furent importés et construits à Kénitra mais le climat du Maroc s'avéra très vite contraire à cette essence de bois et dès 1922 la société s'installa dans l'ancien atelier de la Makina à Fès pour travailler les bois de cèdre de l'Atlas et fonder l'industrie qui n'a cessé de se développer depuis trente ans. Elle allait consacrer l'essentiel de son activité à la menuiserie générale et à l'ameublement

En 1953, Roger Hourdillé, fondateur est président du conseil d'administration ; Théodore Foucher est directeur de l'entreprise qui compte 120 ouvriers et cadres.

Depuis 1947 une autre activité est venue s'adapter en parallèle sur les deux premières. Elle s'est traduite dans le bureau de M. Foucher en des photos terriblement suggestives en une époque où la crise du logement frappe tant de familles ; sur ces photos quantité de dessins de maisons toutes plus tentantes les unes que les autres : ce sont les chalets que construit depuis cinq ans l'Adour-Sebou à l'intention des habitants de tout le Maroc.

Ainsi en 1953 l'activité de l'Adour-Sebou se répartit en trois secteurs : menuiserie 60%, chalets 30% et ébénisterie 10%.

Matières premières

Dans l'immense hangar où les scies mécaniques jouent en permanence des symphonies aux résonances discutables près de 120 ouvriers sont à l'ouvrage.

Le désagrément d'harmonies discordantes est compensé pour eux par la suave et pénétrante odeur des cèdres marocains. Cet arbre constitue en effet 80% de la matière première traitée par l'Adour-Sebou, le reliquat de 20% est constitué par des bois rouges de Suède et de Norvège, des chênes et des hêtres de France et l'acajou d'Afrique équatoriale. Pour en finir avec l'essentiel des matières premières, il faut savoir que la fibre de bois utilisée pour la construction des chalets vient de Suède tandis qu'excellent isolant, la laine de verre est originaire de Saint Gobain.

Piano, piano !

Pour l'usager, l'Adour-Sebou est une admirable entreprise qui a la réputation de fournir des articles d'excellente qualité à la condition que l'on fasse preuve d'une très longue patience ! Sans doute le malheur des uns (ceux qui attendent) fait-il le bonheur des autres (ceux qui fabriquent) puisque l'afflux de commandes traduit l'engouement des Fassis pour les produits de la maison. Pourtant il serait injuste de crier unanimement à la lenteur involontaire de l'Adour-Sebou. En ce qui concerne les chalets il est possible en effet de satisfaire les vœux des clients en des délais très raisonnables.

Pour vous loger

Voulez-vous un chalet ? Choisissez d'abord votre type. Pour cet heureux mariage du locataire et de l'habitation, on a eu le bon goût de ne pas vous imposer un modèle standard : il en est sept comme les jours de la semaine, des branches du chandelier et des muses des anciens Grecs. Votre chalet sera fait à Fès en huit jours, construit en trois semaines et habitable aussitôt. Coût de l'ensemble 15 000 francs le mètre carré environ : 3 pièces, cuisine, salle de bains pour 1 200 000 francs. Que propose la concurrence : des prix à peu près égaux. Les grands avantages du chalet Adour-Sebou : la finition et l'habitabilité favorisée par une hauteur de plafond exceptionnelle dans le domaine du préfabriqué (3 m. 25).

Agrandissements

Puis l'Adour-Sebou fournit les murs, les portes et les meubles (chalets, menuiserie, ébénisterie) puisque la population de la région croît sans cesse nous pouvons craindre que le grand défaut ( la lenteur qui n'est en fait qu'un mauvais « placement » du client dans la longue liste des amateurs !) n'aille lui aussi en grandissant. On peut espérer qu'il en ira différemment car l'Adour-Sebou va grandir. Dès à présent les dépôts de bois et la construction de préfabriqué ont été transférés de la rue Décanis à la nouvelle usine du quartier industriel. Dans un avenir plus ou moins proche l'ensemble de l'usine actuelle pourrait changer de domicile ; mais sur ce délai on garde admirablement le secret.

Commandes en nombre, excellente « position » sur le marché marocain dans le domaine des préfabriqués (les chalets Adour-Sebou n'offrent-ils pas aux regards leurs silhouettes élégantes aussi bien dans la plaine des Triffas et à Safi que dans la région de Fès), est-ce à dire qu'aucune difficulté n'existe pour ses animateurs. A cette question, une réponse presque 100% optimiste. Mais il y a un « presque ».

Le problème du liège

Tout irait bien s'il n'y avait les coupures et les tarifs de l'électricité d'une part, une menace très grave d'autre part. En quoi consiste cette menace ? Lors de la dernière session du Conseil de Gouvernement a été évoqué le problèmes des lièges du Maroc. Actuellement, le Protectorat envisagerait d'appliquer une mesure que d'aucuns estiment arbitraires : tous les utilisateurs de produits isolants devront se servir de liège marocain. A cette perspective, les intéressés réagissent comme suit : nous utilisions dans le passé des lièges vendus par la Société des Lièges du Maroc. Un beau (!) matin, le prix de ces lièges est passé de 4 000 à 16 000 francs le mètre cube. Nous n'étions plus d'accord. Nous avons décidé d'utiliser de nouveaux produits. Ce fut d'abord la fibre de canne à sucre ; c'est maintenant la laine de verre dont les avantages sur le liège ne se comptent pas : le liège est moins isolant, il est plus lourd (donc transports plus chers), plus difficile à manipuler et surtout il est plus cher. L'utilisation de la laine de verre a permis à l'Adour-Sebou de baisser de 12% le tarif de ses chalets. L'utilisation exclusive de liège marocain aurait pour résultat de provoquer une nouvelle hausse d'autant plus considérable que la production locale ne pourrait suffire à la consommation, la demande dépassant donc l'offre, le prix du liège marocain s'élèvera d'autant : excellent résultat pour les uns mais qui ne satisfait guère les utilisateurs. Ceux-ci s'étonnent d'autant plus de ce « protectionnisme » que l'importation de laine de verre ne constitue pas une ponction en devises étrangères puisque ce produit vient de France.

Le problème du liège marocain se pose en fait de la manière suivante : l'Etat met les lièges en adjudication mais fixe des prix de départs trop élevés. La Société des Lièges, entreprise privée doit acheter trop cher et revendre trop cher aux utilisateurs. Il faudrait donc avant tout que l'Etat abaisse les prix de départ de ses adjudications.

Optimisme

Hors ce grave souci, l'ambiance à l'Adour-Sebou est à l'optimisme : on le comprend fort bien en constatant le rythme auquel travaillent ces quelques cent ouvriers qui sont en nombre «de la maison » depuis vingt-cinq ans ; cette stabilité de la main d'oeuvre n'est peut-être pas l'un des motifs les moins valables de la qualité des produits portant la marque d'une maison aussi souriante que les esquisses de chalets qui font rêver les sans logis …

Si vous avez une photo d'un chalet Adour-Sebou n'hésitez pas à m'en envoyer une copie pour mise sur le site.

(A suivre ... fabrique de Tapis La Makina)

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: lun. 6 janvier 2014 15:33:26

LA MAKINA

Dans l'arsenal du Sultan Moulay Hassan, on fabrique aujourd'hui les tapis et tissus traditionnels et modernes ... au détriment des petits moutons de l'Atlas.

L'arsenal a vu le jour sous le règne de Moulay Hassan en 1888. Les colonels Ferrara, Brogoli et le major Campini en furent les principaux animateurs. Tous appartenaient à la mission militaire italienne. Ils surveillaient la fabrication des fusils Martini et Henry dans ces vastes ateliers bâtis dans un style très proche de celui des écuries de Meknès qu'avaient faites construire Moulay Ismail.

Ensemble architectural obscur, aujourd'hui tout noirci par la fumée des fours installés jadis. En fait de matériel, il y avait un marteau pilon, des tours, des machines pour la fabrique et le forage des canons de fusils. Le rythme de fabrication n'était pas très rapide : quatre ou cinq pièces par jour. Il en est une inattendue qui fit une victime historique : la cage où fut enfermée le rogui Bou Amara sortait des ateliers de la Makina.


Des armes aux tissus.


Aujourd'hui, on y procède à des travaux plus pacifiques. Les métaux sont remplacés par des lainages, les militaires italiens par des techniciens français, mais le souvenir demeure et quelques signes telle cette plaque très discrète à l'entrée d'une des « salo d'aspetto ».

Nous ne verrons donc pas sortir de la Makina des hommes armées ou des arrabas chargées de matériaux belliqueux. Y entrent des toisons de moutons ; en sortent des fils de laine, des tapis et des couvertures. D'où vient ce qui entre ici ? Où est conduit ce qui en sort ? La matière première est principalement la laine. Un tiers de la quantité consommé provient du Maroc : surtout du Nord et du Moyen-Atlas ; un peu du Gharb et très rarement du Sud dont les produits sont moins recherchés. Un autre tiers de laines exotiques vient d'Afrique du Sud et de Nouvelle-Zélande. Enfin le troisième tiers du volume de matière première est constitué par du coton et de la fibrane.


Antique et moderne


Dans un cadre très « patriarcal », un matériel extrêmement moderne voisine avec les traditionnels métiers à mains auxquels travaillent à une vitesse extraordinaire de petites Fassies dont sont responsables des « chefs de tapis ». Les fillettes font, ici du moderne, là de l'ancien. A ce métier, un tapis traditionnel marocain, là une immense pièce multicolore qu'un amateur américain a fait composer d'après les dessins de … sa cravate ; on reproduit à ce métier un Rabat, et les voisines recopient le dessin envoyé par un grand décorateur parisien. Il en est pour tous les goûts et pour les destinations les plus diverses.

C'est ce qui ressort d'ailleurs des indications qui m'ont été communiquées sur la destination de la production : 30% des produits fabriqués sont des filés de laine vendus en Médina et des fils pour les tisserands, 30% de couvertures et de tissus divers, 30% de tapis.



Destination des marchandises


En ce qui concerne les filés de laine, les couvertures et les tissus l'ensemble de la production est vendu sur le marché marocain. Une faible quantité de fils est exportée vers la Grande-Bretagne. Dans le domaine des tapis, il en va différemment puisque les deux tiers de la production sont exportés principalement vers la France, les Pays-Bas, la Suisse et les USA. Ces destinations ont une incidence essentielle sur le genre des tapis fabriqués par la Makina. La fantaisie est demandée plutôt que le tapis strictement marocain. La règle de la maison est de s'adapter au goût du client, si baroque soit-il. Nous en avons cité un exemple plus haut, on pourrait en rapporter bien d'autres. La Makina peut répondre à ces demandes car la gamme des coloris qu'elle prépare est pratiquement illimitée et le matériel utilisé permet toutes les adaptations. Le résultat s'inscrit d'ailleurs d'une manière éloquente sur le marché des changes puisque les exportations de la Makina ont représenté l'an dernier environ vingt millions de rentrées de devises étrangères.

La critique éloquente que nous adressions à l'Adour-Sebou est valable pour la Makina : l'engouement des acheteurs vaut aux amateurs d'accepter par la force des choses des délais de livraison souvent très importants. Bonheur des uns, malheur des autres ! Aussi accueillera-t-on comme une bonne nouvelle l'annonce du transfert de la Makina de l'arsenal de Moulay Hassan vers Dokkarat où une grande usine doit être installée.


Concurrences extérieures


Le rythme de la commercialisation est donc encourageant. Mais comme en d'autres domaines, différents problèmes se posent aux dirigeants de cette industrie. En leur bureau dont le décor évoque assez généreusement le temps du major Campini, MM. Cherpin et Thau m'ont brossé un rapide tableau de leurs préoccupations essentielles. Ils voudraient qu'on encourage cette industrie marocaine en lui permettant de prendre plus facilement son essor d'autre part en l'aidant à lutter contre certaines concurrences. Dans le premier ordre d'idées, les Marocains posent le problème de l'estampillage. Ne reçoivent au Maroc l'estampille des services intéressés que les tapis de style marocain « moderne français » ; ne reçoivent l'estampille pour l'exportation ni les tapis tunisiens, ni les algériens, ni même les … persans. Or en Algérie, les tapis marocains sont estampillés, il en va de même en Tunisie : pourquoi cette discrimination défavorable au Maroc ?


Contrebande … officielle


En ce qui concerne les couvertures et les tapis, la concurrence que subissent les produits marocains revêt deux formes, l'une honnête, l'autre malhonnête. La concurrence honnête est celle des produits venus de l'étranger, vendus au Maroc moins cher que les produits fabriqués sur place.

En souhaitant que soit interdite l'entrée au Maroc de produits qu'il est possible de fabriquer sur place (nous entendrons le même son de cloche beaucoup plus violent d'ailleurs dans une autre entreprise analogue), les producteurs locaux souhaitent que du moins les pays qui vendent au Maroc ouvrent leur marché aux produits marocains : c'est justice mais ce n'est pas toujours le cas.

La concurrence malhonnête est celle qui naît de la contrebande entre les zones espagnole et française du Maroc. En Médina par exemple, on trouve en vente officielle des couvertures entrées en fraude par le Maroc espagnol ; il importerait qu'un contrôle féroce soit exercé contre ces pratiques soit à la frontière soit sur le marché local.

Enfin dernier point important de la commercialisation que nous ayons évoqué : les droits préférentiels dont jouissent les producteurs algériens exportant des tissus au Maroc, droits qui ne sont pas réciproques et qui datent en fait des débuts du protectorat et du régime un peu particulier auquel fut soumis à cette époque le Maroc oriental.

Cela dit et en attendant que la Makina soit transférée dans le décor beaucoup moins pittoresque du quartier industriel, nous nous sommes retrouvés hors l'arsenal aux murs grisonnants dans le soleil du grand méchouar ; y passent et repassent, vêtus peut-être des tissus du cru, les Fassis de la Médina accompagnés souvent de leurs troupeaux d'agneaux qui regardent d'un œil triste et philosophe le portail de la Makina, en songeant que là, de leur toison on fera peut-être demain l'habit de leur maître !...

( A suivre ... Les Moulins)



2 modifications. Plus récente: 25/01/14 22:06 par georges-michel.

Pièces jointes: Métier Makina b.jpg (60KB)  
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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: lun. 13 janvier 2014 12:13:01

LES MOULINS DE FÈS


Meunier tu dors, ton moulin bat trop vite !
- Pas de danger mon ami, mon moulin bat au rythme sage et mesuré de ses moteurs ultra-modernes
- Meunier tu dors, et la farine te recouvre d'une large couche blanche !
- Tu te trompes mon ami. Dans mon moulin on ne voit pas de farine et la poussière y est inconnue.
- Meunier tu dors et te bercent les larges battements de ton moulin à vent !
- Mais mon moulin n'a pas d'ailes et le vent ne l'inquiète pas.
- Meunier tu dors et la grand' roue de ton moulin joue sa chanson parmi les eaux de la rivière.
- Mais mon moulin n'a pas de roue et de la rivière il se moque.
- Alors meunier, dis-moi : comment peux tu être meunier.


Meunier moderne !


- Je suis un meunier moderne. L'eau et le vent n'ont plus rien à voir dans ma vie : le courant électrique joue bien mieux qu'eux le rôle de jadis. Les divers éléments et machines de ma minoterie sont conçus avec un tel soin et une précision si remarquable qu'il n'est pas une fente par laquelle s'échappe la poussière ou la blanche farine. Ces machines colossales et qui chacune représente des millions de francs sont aussi sensibles et précises que des mécanismes d'horlogerie. Nous meuniers modernes, vivons désormais en de vrais laboratoires, nos machines sont des reines coquettes et puissantes, leur pouvoir est colossal et leur rendement dépasse celui qu'on leur demande aujourd'hui

Tel pourrait être, mi-poétique, mi-technique le dialogue qui s'engagerait entre le minotier d'aujourd'hui et le minotier du temps perdu. Le second ne retrouvera dans la minoterie que peu de choses de son moulin d'antan. Le premier accomplira sa tâche en technicien et administrateur averti et non plus en artisan.


La minoterie et ses problèmes


Or dans une ville comme Fès, la « cohabitation » du meunier à moulin à eau et du minotier aux installations ultra-modernes pose plus que partout ailleurs des problèmes extrêmement complexes sur lesquels nous n'avons fait qu'un tour d'horizon relativement superficiel. Il ne semblerait pas aux consommateurs de pain, que la fabrication de la farine doive en un pays comme le Maroc poser de problème extraordinaire. Il y a du blé aux portes de Fès. Il y a à Fès des minotiers et des boulangers, le circuit est si enfantin que n'importe quel enfant pourrait le décrire ! du marché où le cultivateur vend son blé au moulin qui le broie, au boulanger qui le transforme en pain, au consommateur qui le déguste. C'est tout simple ! Et c'est trop simple ! Des questions économiques prépondérantes interviennent en effet entre le cultivateur et le consommateur. L'Office interprofessionnel des céréales joue dans tout le Maroc un rôle délicat de régulateur et de distributeur du blé dur et du blé tendre.


Deux exemples


Mais la gestion du marché du blé par l'Office dépasse le cadre d'un reportage sur les moulins fassis.

Ceux-ci sont près de deux cents. Sur ce nombre cent cinquante en sont au stade artisanal, trois sont « améliorés », quatre sont de grands moulins industriels. Ces parmi ces quatre que nous avons choisi nos exemples parce qu'à leur tête sont les deux plus grands : l'un est le plus moderne d'Afrique du Nord : l'Idrissia. L'autre qui est bicéphale appartient au groupe de minoteries marocaines qui occupe la seconde place dans la capacité d'écrasement de blé au Maroc : les moulins D. Baruk.


Les Moulins Idrissia


Les moulins Idrissia ont une double qualité exceptionnelle : ils sont les plus modernes d'AFN (et les fassis sont assurément les derniers à l'imaginer) et le groupe qui est à leur tête est presque exclusivement fassi : c'est pourquoi se plaçant sur le double plan sentimental et économique, les Fassis peuvent se féliciter de la présence en leur ville d'un ensemble de cette valeur.

A proximité du lieu où sont bâtis les moulins passait jadis la voie de soixante (c'est d'ailleurs pour cela que l'on a construit là ces moulins). Ils étaient lorsqu'ils furent créés, en 1918, par MM. Pérez et Coudert très loin de la ville. Aujourd'hui ils sont à peine à l'une des extrémités de la cité ; demain, lorsqu'aura été prolongé le boulevard Poeymirau, ils seront en plein centre de la ville : à eux seuls, ils démontrent à ceux qui veulent en douter que Fès grandit ! ...

Des techniciens ont mis douze mois pour monter le nouveau moulin Bühler dont sont dotés depuis un an les Moulins Idrissia. Un moulin qui marche avec la précision d'une montre; que l'on passe d'un étage à l'autre c'est un laboratoire que l'on visite.

L'évolution et la modernisation sont d'ailleurs inscrites à même ces salles ou dans les pièces attenantes.

Les Moulins Idrissia sont aussi le siège d'une fabrique de pâtes alimentaires mise en marche il y a deux ans. Là encore un matériel ultra-moderne est en œuvre : d'un côté une machine élégante entre la semoule et les pâtes sortent à l'autre extrémité pour être mises dans les séchoirs puis en paquet avant d'arriver sur nos tables. La production de pâtes à potages et couscous est destinée surtout à la région de Fès, mais est aussi en partie expédiée à travers le Maroc et à l'intendance de l'armée.


Baruk


Voisins et concurrents, les Moulins D. Baruk installés eux-aussi au sommet du boulevard Poeymirau sont bicéphales. Il y a d'une part les Moulins Baruk proprement dit et d'autre part le moulin Lévy avec la même direction depuis quelques temps.
Au deuxième rang après les Moulins du Moghreb qui traitent 19% du blé broyé au Maroc, les quatre moulins D. Baruk traitent 18% du volume total. C'est dire l'importance de ce groupe dont nous avons à Fès un des éléments importants.


Complexité


Les problèmes qui intéressent les minotiers ? Ils apparaîssent extrêmement complexes pour le profane et il serait vain de prétendre trouver une solution à des questions que les techniciens étudient. Une commission dite des 3 F-S tente de résoudre les problèmes de la minoterie marocaine ( MM. Forestier, directeur de l'Agriculture, Felici directeur du Commerce, Fougère, conseiller juridique du Protectorat et Siraud secrétaire général adjoint). Il est à Fès plus difficile à résoudre qu'ailleurs.

Cela tient au fait que la minoterie fassie est dans une situation unique au Maroc et c'est pourquoi on n'a pu trancher ce problème particulier qui risquerait de déborder sur le plan général. En fait actuellement la minoterie marocaine est suréquipée et les grandes minoteries industrielles ne peuvnet travailler à plein rendement. En marge de ces grandes minoteries, il en est qui ne travaillent pas dans les mêmes conditions d'industrialisations et sont dans une position plus favorable.


Les fassis préparent le blé dur


Trente-sept minotiers se sont groupés en une association professionnelle de la minoterie reconnue par un dahir du 21 janvier 1953. La charte de la minoterie avait ainsi vue le jour. Ce dahir prévoit que toute minoterie de plus de 3 000 quintaux de capacité d'écrasement doit faire partie de cette association. Toutefois les minoteries non complètement industrialisés ne sont pas admises dans l'association marocaine. Or à Fès la situation économique du blé dur veut que les minoteries artisanales aient à se moderniser. Cela tient au régime de commercialisation des blés durs et aux goûts des Fassis pour les blés tendres, prix d'achat du blé et prix de vente de la farine sont fixés par l'OCIC. Pour les blés durs le prix d'achat du blé est libre mais le prix de vente de la farine est fixé. Bénéficient de cette situation les minotiers non industrialisés qui n'ont pas à s'acquitter d'une taxe de reversement et du paiement d'autres taxes : ainsi leurs bénéfices sont-ils plus importants que ceux des minotiers industriels.

Dans les autres villes les minotiers industriels peuvent traiter du blé tendre et écouler la farine sur le marché local. A Fès cela va différemment car la population la préférant, la farine de blé dur fait prime par rapport par rapport à la farine de blé tendre auprès des consommateurs.

Les problèmes qui se posent aux grandes minoteries sont aggravés du fait que les minoteries fassies sont suréquipées. Les possibilités de traitement quotidiennes sont à Fès de plus de 1500 quintaux. Pour une population supérieure en nombre elles ne sont que de 800 quintaux à Meknès si bien que les grandes minoteries fassies ne travaillent qu'à 65% de leur capacité de traitement.

A Fès enfin, voisinent avec les quatre grandes minoteries des minoteries améliorées et plus de 90 moulins qui travaillent sur l'oued Fès soit à façon soit sur un échelon plus commercial et dont la capacité est de 10 000 quintaux par mois.

En outre existent enfin les pittoresques moulins ambulants qui vont de souk en souk et traitant sur place le blé qu'on leur apporte.

Ainsi le problème de la minoterie dont nous n'avons esquissé que les grandes lignes se présente-t-il à une échelle particulièrement considérable dans la région de Fès. La tradition et le modernisme poursuivent côte à côte leur activité dans des conditions qui échappent certes à ceux qui, chaque jour, consomment à leur table petits pains et gros pains sans se douter( à quoi bon y penser) que du champ de blé à leur table, le blé peut suivre des circuits tels qu'il est prouvé que d'un point à un autre le plus court chemin n'est pas toujours la ligne droite


Quelques chiffres


- La minoterie fassie :

- Minoterie industrielle : - Idrissia : 600 quintaux par jour *
- Baruk : 800 quintaux par jour **
- Fejjaline (Larachi, Soussan) : 100 quintaux par jour
- Lahoussine Lahabi : 200 quintaux par jour

- Minoterie améliorée : 3 moulins , 300 quintaux/jour

- Minoterie artisanale : 150 moulins dont 20 à moteur, les autres moulins à eau ressemblant comme des frères à ceux de Volubilis.

- La minoterie marocaine :

- Minoterie industrielle : 3 millions de quintaux
- Minoterie artisanale : 4 millions de quintaux
- 30 minoteries industrielles
- 2 000 minoteries artisanales

Le Maroc est un pays essentiellement agricole et le blé constitue l'épine dorsale de l'agriculture marocaine. La meunerie industrielle par son organisation et par les textes qui la régissent a largement contribué à assainir le marché du blé. Tout malaise ressentie dans cette industrie aurait sa répercussion directe sur ce marché du blé, pièce maîtresse de la stabilité économique et sociale du Maroc.

*Moulins Idrissia, 110 cadres et ouvriers. Gérant : Mohamed Zeghari. Directeurs : Mohamed Zeghari et M. du Rouas. Capital : 12 millions de francs.

**Moulins D. Baruk, société anonyme créée en 1926, 110 cadres et ouvriers. Président du Conseil d'administration: Gaston Baruk. Directeur : Lucien Nino. Capital 325 millions de francs

( à suivre quelques éléments historiques sur les Moulins de Fès)

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: lun. 13 janvier 2014 14:16:44

Quelques rappels historiques:

« Maroc en 1932. 20 années de Protectorat Français » numéro spécial de l'Afrique du Nord illustrée.


Les Moulins Idrissia sont les « héritiers » des Moulins Perez et Coudert créés en 1918

Dans le Maroc en 1932, voici ce qui est dit sur les Établissements Perez et Coudert

Les Etablissements Pérez et Coudert sont une Société anonyme au capital de 6 millions de francs. Ils comprennent trois départements: une minoterie, une fabrique de pâtes alimentaires, une usine hydroélectrique. Ces trois industries bien que différentes composent un tout dont l'exploitation rationnelle a permis d'établir une organisation d'ensemble.

La minoterie et la fabrique de pâtes alimentaires sont actionnées par une force motrice de 180 HP. Ce courant est fourni par l'usine hydro-électrique, qui comporte deux moulins, un pour le blé dur, l'autre pour le blé tendre.

La minoterie a une production de 500 quintaux par jour et est outillée pour produire 800 quintaux, elle est munie des moyens les plus modernes pour les manipulations des céréales par transporteur pneumatique. Elle possède des silos métalliques, et peut emmagasiner 75 000 quintaux de blé. La fabrique de pâtes alimentaires, est organisée pour une production de 60 quintaux par jour.

Ces différentes industries sont dotées d'un matériel très moderne qui permet une production régulière et de qualité excellente. Leur exploitation est assurée par des techniciens avertis et une main-d'œuvre spécialisée. Nous savons en outre que des projets d'une grande envergure et d'un intérêt capital pour l'avenir industriel et économique de Fez sont en préparation.

Leur Conseil d'administration est composé comme il suit : Président : M. François Coudert ; vice-président : M. Louis Ferasson, ingénieur des Mines à Paris ; membres du Conseil: MM. Laboubée, directeur général de la Banque Industrielle de l'Afrique du Nord ; Loiseau, ingénieur ; Perez, industriel; Satgé, industriel ; Verge, banquier à Paris, et parmi les actionnaires se trouvent M. Moreau, gouverneur honoraire de la Banque de France, et M. Picard, président et directeur général de la Banque de l'Algérie.

L'animateur de ces, industries est M. Coudert, industriel fort connu aussi en Algérie où il a également des affaires importantes, notamment un secteur de distribution d'électricité avec l'usine hydro-électrique, dans le département d'Alger.

Les produits de ces différentes affaires sont consommés en majorité au Maroc sauf pour les pâtes alimentaires dont une partie est livrée à l'exportation. Ces produits sont du reste fabriqués très soigneusement et supportent aisément la comparaison avec les meilleurs de la Métropole et de l'Etranger.


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A propos des Moulins Baruk au Maroc, en 1932

Les Moulins Baruk, dont la direction est à Rabat, sont connus dans tout le Maroc, car dans chaque bourgade importante, M. Baruk a créé des agences chargées de l'achat et de la vente des céréales.
Cette organisation, qui permet aux Moulins Baruk d'être présents dans tous les marchés et souks, est l'œuvre de M. Baruk David.

Né à Tunis, M. Baruk vint au Maroc en 1913. Il monta un petit moulin, pour la mouture, dans la ville indigène de Rabat en 1915.

Le mouvement des affaires ayant répondu à l'impulsion énergique du chef qui les dirigeait, M. Baruk, huit ans après, en 1923, put acheter les moulins de Rabat, dont le débit était de 100 quintaux.
En 1926, une transformation de l'outillage permit aux moulins une production de 500 quintaux.
Des silos, furent construits en ciment armé ; leur contenance est de 30.000 quintaux.

En 1927, M. Baruk constitue la Société des Moulins de Fez dont il devient l'administrateur délégué. En 1929, M. Baruk acquiert pour son compte les Moulins de Salé et les Moulins de Marrakech.

En 1932, les Moulins Baruk, dont les débuts furent si modestes, jouissent d'une prospérité qui est le fait d'un homme, lequel, incapable de causer la moindre atteinte aux droits de chacun, s'est donné la tâche de servir les intérêts du pays en ne négligeant pas les siens. Les quatre Moulins Baruk ont une production totale de 1.200 quintaux par jour.


Qui sont les Moulins du Moghreb ?

Dans son article du Courrier du Maroc en mars 1953, Christian Houillion cite les Moulins du Moghreb, qui traite 19% du blé broyé et occupe la 1ère place au Maroc, juste devant les Moulins Baruk (18%).


Dans le « Maroc en 1932 » il est écrit: La Société des Moulins du Maghreb est aujourd'hui l'une des plus puissantes qui existent au Maroc. C'est en 1919 qu'elle fut constituée avec un capital d'origine de six millions cinq cent mille francs. Depuis cette époque, elle n'a cessé de prospérer grâce à une direction intelligente et active. Actuellement, elle est formée en société anonyme au capital de 25 millions de francs entièrement libérés.

Il est à noter que la progression constante de cette importante firme, s'est faite avec l'accroissement de l'agriculture au Maroc. A mesure que celle-ci produisait davantage de céréales, les Moulins du Maghreb durent augmenter leur production pour demeurer toujours aptes à satisfaire une clientèle toujours plus nombreuse. Ainsi, d'année en année, depuis treize ans, leur importance grandissait et aujourd'hui on peut assurer qu'ils sont devenus la plus puissante organisation du genre existant au Maroc. Actuellement trois usines sont en plein rendement et la production totale est de
2 500 quintaux par vingt-quatre heures.

L'usine de Casablanca couvre une superficie de dix mille mètres carrés; celle de Meknès 12 930 et celle de Safi 8 830, soit au total 31 760 mètres carrés. On peut déjà juger de l'importance de ces installations.

De plus, il est à remarquer que les méthodes appliquées sont des plus modernes, ceci dans le but de présenter à la clientèle des produits parfaitement homogènes et de toute première qualité. Un outillage perfectionné permet aux Moulins du Maghreb de fournir des farines de choix absolument conformes aux desiderata de chacun. Les sous-produits sont également traités avec le même soin et procurent à la Société des bénéfices appréciables.

De tous les points du Maroc où le sol se prête à la culture des céréales, affluent vers les trois belles usines des Moulins du Maghreb les produits si vantés de ce pays. Partout, un soin méticuleux est apporté à leurs transformations délicates et les marchés mondiaux ont souvent recours à eux. Ils sont, en effet, universellement reconnus comme étant des meilleurs.

Le Conseil d'administration de la Société des Moulins du Maghreb comprend, en effet, des personnes connaissant parfaitement les besoins et les améliorations à apporter à une telle entreprise. Voici d'ailleurs la composition du conseil: MM. P. Gauthier, président; Atthalin, vice-président; comme administrateurs se trouvent MM. J. Brisac, G. de Caqueray, A. d'Einbrodt, G. Fabre, P. Julien de la Gravière, M. Katz, A. Massenat Prince d'Essling, Prince Charles Murât, la Société Française « Paris-Maroc », MM. Pilliard, A. Roudy et. A. Wormser.

Depuis l'installation au Maroc des Moulins du Maghreb, l'accroissement constant de cette Société dont le siège social est à Paris, 280, boulevard Saint-Germain, est une garantie sûre et indiscutable des possibilités ainsi que de la perfection de son travail.

La direction générale, rue de la Garonne, à Casablanca, se met d'ailleurs gracieusement à la disposition de la clientèle. Celle-ci y trouvera toujours le meilleur accueil et sera renseignée sur tous les points l'intéressant.



La Meunerie de Fès

(article paru vraisemblablement dans la Revue de la meunerie en 1924. Je n'ai pu retrouver les références précises de ce texte isolé).

En mars 1953 Houillion parle de 150 moulins artisanaux majoritairement mus hydrauliquement. Apparemment le nombre de moulins n'a pas varié en 30 ans si l'on en croit cet article de 1924 qui mentionne 147 moulins à eau


« L'industrie meunière, une des plus curieuses de Fès, est représentée actuellement par 147 moulins en activité, lesquels se divisent en deux catégories nettement différentes :

- Les Reha Thaïnia ou Reha Degaigia, qui font la mouture « à façon », et dans lesquels les habitants font moudre leurs grains au fur et à mesure des besoins de leurs maisons. Ce sont les moulins de la classe aisée et moyenne ; les meuniers sont généralement de pauvres gens qui vivent en partie de la générosité des Fassis riches de leur quartier. On compte actuellement à Fès 69 Reha Thaïnia.

- Les Reha Traïhia, dans lesquels sont fabriqués différentes farines et semoules destinées à être mise en vente sur les marchés. Les meuniers sont en général plus aisés que ceux de la catégorie précédente ; ils sont aussi plus nombreux et Fès possède actuellement 78 Reha Traïhia.

Tous ces moulins sont mus hydrauliquement par les différentes chutes des nombreuses dérivations que les branches de l'oued Fez forment au travers de la médina ; ils sont d'ailleurs organisés tous de de la même manière et sont extrêmement primitifs ; l'eau de la chute tombe sur les palettes d'une roue en bois, « noria », qui, en tournant, actionne un arbre de couche en fer, dont une extrémité y est encastrée. A l'autre extrémité de l'arbre de couche est ajustée une meule en pierre « reha » qui tourne sur une meule fixe. C'est entre ces deux meules, dont l'écartement peut être variable et est calculé suivant la grosseur du grain à moudre, que le blé arrive en descendant d'un vaste entonnoir en bois ou en sparterie. Cet entonnoir est violemment et régulièrement secoué par une sorte de roue dentée montée sur l'arbre de couche et qui le choque au passage de chaque dent. Cette opération a pour but d'empêcher le goulot de l'entonnoir de s'engorger et de permettre l'arrivée continue du grain qui passe par le centre de la meule supérieure avant de s'étendre à l'endroit où il sera moulu.

Toute la mouture est rejetée par terre par la rotation de la meule. Elle tombe sur une partie du sol creusée, dallée et spécialement aménagée pour la recevoir ; c'est là qu'elle est ramassée et puis tamisée pour séparer les farines de différentes grosseurs, c'est à dire de différentes qualités, et le son. Les gruaux peuvent d'ailleurs être repassés plusieurs fois entre les meules, en les blutant à nouveau chaque fois, de façon à être parfaitement réduits en farine.

Avant ces opérations de mouture, le blé lavé, d'une façon toute rudimentaire du reste, déposé dans de grandes corbeilles de palmier nain, est plongé soit dans de l'eau contenue dans des cuves en maçonnerie préparées à cet effet, soit plus simplement, et plus souvent aussi, directement dans la dérivation de l'oued qui précède le moulin. Une fois dans l'eau, le grain est secoué et brassé, de façon à être débarrassé aussi complètement que possible des poussières et des impuretés qu'il contient. Il faut avouer qu'il acquiert quelques microbes, les eaux de l'oued étant réputées particulièrement impures, les immondices de toute nature que l'on déverse ne manquant pas. Après ce lavage, il est étendu sur les terrasses du moulin et sèche au soleil ; ce séchage est arrêté lorsque le meunier estime que le grainest encore assez humide pour permettre une bonne mouture.

Les pierres de meules sont, soit en meulière des Aït Ayach, soit en pierres volcaniques, à gros grain et dur provenant des carrières des Beni M'tir. Elles arrivent à Fès simplement dégrossies et confiées à des ouvriers indigènes qui les retaillent assez finement et les découpes au cantre pour permettre l'ajustage sur l'arbre de couche. Le frottement des meules les use assez rapidement ; elles sont alors décapées par les meuniers eux-mêmes qui les frappent régulièrement avec un marteau tranchant. Lorsqu'elles sont tout à fait hors d'usage pour la meunerie, elles sont utilisées pour la construction et servent ordinairement de dalles pour les écuries et les étables. Elles sont bouchées au centre par un boulet rond en pierre, de diamètre légèrement supérieur à celui du trou ; il suffit alors d'enlever cette fermeture pour permettre l'écoulement facile des eaux de lavage ou des urines des animaux.

Tous les moulins de Fès qu'ils soient Thaïnia ou Thaïhia, travaillent de la même manière et avec ce même outillage primitif ; ce n'est que dans la livraison des produits obtenus aux consommateurs qu'ils diffèrent grandement ».

( à suivre Dans les forges de Vulcain: les Établissements Milleret)



1 modifications. Plus récente: 13/01/14 23:13 par jpb.

Pièces jointes: Perez Coudert.jpg (174.5KB)  
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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: carole (Adresse IP journalisée)
Date: lun. 13 janvier 2014 19:23:09

Merci Georges pour apporter autant d'eau à nos moulins !

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: jeu. 16 janvier 2014 09:22:33

En Bretagne on ne manque pas d'eau ... surtout en ce moment ! on peut partager.

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: jeu. 16 janvier 2014 09:29:09

DANS LES FORGES DE VULCAIN : LES ÉTABLISSEMENTS MILLERET


« Je me suis installé à Fès en 1930 avec 495 francs de crédit. Mon atelier se trouvait là où est construit aujourd'hui le cinéma « Arc-en-Ciel ». En ce temps, nous ramassions les chardons Place de l'Atlas ! … Ma première commande, d'un montant de 4 000 francs (c'était alors considérable) était destinée à une usine à chaux des Mérinides. Pourquoi ai-je-choisi Fès ? Quoiqu'il en soit, c'est une erreur que l'on constate tous les jours puisque Casablanca est devenue tentaculaire et dans notre industrie en particulier le centre vital ».

M. Milleret, que j'ai rencontré dans son usine, ne m'en voudra pas de révéler les termes francs de son aveu. Il est le seul des hommes d'affaires que j'ai vus à l'occasion de cette enquête, qui n'ait de comptes à rendre qu'à lui-même. Propriétaire de son affaire, M. Milleret a franchi avec courage et bonheur les étapes qui l'ont conduit de son modeste atelier de 1930 aux importants bâtiments flambants neufs de la rue de Savoie. Les derniers nés de ces bâtiments métalliques (comme il se devait) datent de 1946 et leur achèvement est plus récent encore.


Chez Vulcain


L'activité qui se déroule à l'abri de ces voûtes aux résonances éclatantes est double : construction de charpentes et surtout menuiserie métallique (fenêtres,, portes en fer, etc …). De 80 à 150 ouvriers y travaillent sous la direction de M. Franck Milleret, de M. Louis Parent, directeur de l'usine, et des deux contremaîtres, MM. Suarès et Chay. Plus qu'ailleurs, on se croît transporté, en visitant ces bâtiments, dans quelqu'une des forges de Vulcain : le tintamarre des ferrailles qu'on plie en dépit de leurs résistances, suivant les formes les plus variées, les étincelles que provoquent les travaux de soudure électrique ( sans doute, avec ces engins sommes nous loin du Dieu grec qui n'avait pas encore à son service la fée électricité). Profane, je suis assourdi alors qu'au contraire , les habitués ne peuvent se passer de tout ce charivari. Les ponts roulants transportent d'un point à un autre des poutres de quelques centaines de kilos sans paraître peiner plus qu'un champion du monde des poids et haltères soulevant un poids d'une livre ! Poinçonneuses, cisailles, meules, soudeuses automatiques, installations d'air comprimé procédant au rivetage et au meulage, l'appareillage est des plus modernes, susceptible de réaliser les travaux les plus difficiles. Le feu d'artifice des étincelles jaillit d'un peu partout. Le chant clair ou brut des poutres qui s'entrechoquent ou qu'on déplace, fournirait à un compositeur néo-réaliste, le thème musical d'une symphonie du monde de la machine.


Destination et origine


Mais il ne s'agit pas du tout en ces lieux de composer des symphonies. Parfois, peut-être, les assemblages des poutres métalliques évoquent-ils une portée musicale, mais ce hasard ne fait pas la loi ! … Des établissements Milleret partent à destination de la région de Fès, mais aussi vers tout le Nord marocain, Oujda et même Casablanca, des hangars de toutes tailles, et des installations qui découlent de la double activité signalée plus haut : charpentes métalliques et menuiserie métallique. La matière première principale est le fer qui vient de l'Est de la France et de Sarre. Tuiles, fibro-ciment et bois sont marocains.

Cette usine, qui travaille pour construire et qui dispose de l'une des plus modernes installations du Maroc, doit, en un temps où la construction prend un essor considérable, travailler à un rythme accéléré : c'est l'évidence même ! Or l'évidence se trompe, car au moment où le bâtiment va, des industries de l'importance de celles dont le Nord marocain est doté marquent le pas. Au lieu de 150 ouvriers, il n'en est qu'une centaine à l'ouvrage. Le pourquoi de ce temps mort ?


Suréquipement


Temps mort est un terme trop fort. Disons plutôt que nous nous sommes mis en veilleuse ! me répondent mes interlocuteurs. Les motifs de cette politique que nous sommes les premiers à regretter sont nombreux. Les principaux : Casablanca est tentaculaire, et beaucoup de gens ont cru que l'on pouvait s'installer au Maroc et travailler, dans tous les domaines, à plein rendement. C'est ainsi que, depuis la fin de la guerre, pour des motifs divers, de France et d'ailleurs, on est venu créér des usines de charpentes métalliques au Maroc.

Résultat : suréquipement. Conséquences : certaines de ces maisons proposent de l'ouvrage à des prix défiant toute concurrence, si bien que les concurrents qui se refusent à travailler pour conquérir des marchés, au-dessous de leur prix de revient sont contraints de se « retirer de la course ».

Que se passe-t-il pour les adjudications : le moins cher l'emporte. Aussi nous est-il à peu près impossible de soumissionner pour les adjudications. Par contre, lorsque les marchés sont passés par concours ou appel d'offres restreints, nous pouvons être fiers d'avoir souvent été choisis et même pour Casablanca.


Transports et marchés


« L'un des principaux postes qui grèvent votre prix de revient n'est-il pas celui du transport ? »

Bien entendu, et c'est une des raisons pour lesquelles je vous disais que je regrettais d'être à Fès et non à Casablanca. Le kilométrage que doit effectuer la matière première extrêmement lourde, pour gagner Fès et éventuellement retourner une fois traitée à Casablanca, est un handicap certain.

D'autre part, Casablanca est le plus gros marché. Il n'y a pas les seuls marchés de l'administration annoncés par des avis officiels, mais les particuliers lancent aussi des travaux dont sont avertis les industriels casablancais, tandis qu'à Fès nous ne sommes pas « dans le circuit » des constructions privées lointaines.

D'autres difficultés : on s'ingénie, semble-t-il, en ce qui concerne plus particulièrement la menuiserie métallique, à faire le plus hétéroclite possible alors que si l'on consentait à standardiser les dimensions des portes et des fenêtres par exemple, les fabricants travailleraient plus vite et moins cher.


Ici encore manque de logements


D'autres raisons de notre mise en veilleuse : notre travail exige une très forte majorité d'ouvriers spécialistes. Nous ne les trouvons pas sur place. Il faut le plus souvent les faire venir de France. Ces travailleurs qui déjà occupent une place assez élevée dans la hiérarchie ouvrière, ne viennent qu'à condition d'être logés : or, il n'y a à peu près pas de constructions nouvelles à Fès pour les employés du secteur privé.


Défendre la production locale


Tels sont les principaux motifs de la déclaration relativement pessimiste que me faisaient mes hôtes au début de la visite. Puis, m'entraînant dans un coin de l'usine où étaient rassemblées des centaines de pelles : « Nous sommes la seule usine au Maroc qui fabrique des pelles. Nous les vendions très bien sur le marché local jusqu'au jour où l'on a fait entrer au Maroc des pelles allemandes vendues à bas prix ».

Et cette indication laconique appelait une remarque qu'ont faite d'autres industriels du Maroc : ne pourrait-on fermer au maximum les frontières du Maroc aux produits étrangers qui peuvent être fabriqués sur place ?


Espoir


Tandis que certains de leurs concurrents se condamnent à disparaître par la pratique d'une politique acrobatique et anti-économique, les établissements Milleret préparent dans un demi-sommeil, des lendemains dynamiques. Il y a dans ce domaine et ce n'est pas le seul ( le cas des conserveurs paraît un peu frère de celui-là, à une plus large échelle toutefois) un suréquipement évident. Les meilleurs resteront : nous pensons que dotée de l'outillage le plus moderne et grâce à la compétence de ses dirigeants, cette grande usine fassie sera des survivants : nul doute que l'avenir prouve à ses chefs que « choisir Fès » n'était pas … une erreur.

(à suivre la S.I.O.M)



1 modifications. Plus récente: 16/01/14 23:21 par georges-michel.

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: jpb (Adresse IP journalisée)
Date: sam. 18 janvier 2014 13:25:41

Bonjour Georges et merci pour l'évocation des Etablissements Milleret.
J'ai beaucoup d'émotion à lire ces lignes. J'habitais rue de Savoie, juste en face. Cette usine, sonore par l'exercice de son métier, a rythmé la vie du "bout" du quartier de l'Atlas. Les pauses, la sirène de l'arrêt de midi avec ses dizaines d'ouvriers qui mangeaient assis autour de l'usine, la reprise , les camions de chargement, animaient la rue de Savoie, la rue de Gascogne, la rue d'Anjou.A midi un flot de collaborateurs allaient acheter leur pain à la boulangerie IANNELLO (celle de mon grand père) rue d'Anjou, ou s'approvionner à l'épicerie de Albert Benizri (il avait quitté Fès pour aller ensuite en Israël). L'école Jean Fabre était aussi tout près des Ets Milleret, surtout la maternelle avec son entrée spécifique rue de Savoie.Ainsi ce "bloc", rue de Savoie, rue de Gascogne, rue d'Anjou, avenue de Jouffray (où était située l'église St Régis) grouillait le matin, à midi , en fin d'après midi.
Nous étions en admiration lorsque l'on regardait les Ets Milleret. Je me souviens de la première grue horizontale qui reliait les 2 bâtiments. Cette grue était commandée par un manipulateur qui avait en main les commandes reliées par un câble. Il était vigilant car nous étions turbulents et il y avait un danger réel avec les transports de fenêtres ou autres ouvrages métalliques. Le second bâtiment était destiné aux finitions, peintures et autres. Mais c'est vrai que tout "était moderne" dans cette entreprise.
Les Milleret avaient construit une vaste villa près de l'Eglise. C'est là qu'ils habitaient. Là aussi nous étions en admiration. C'était presque un palais ! A leur départ cette villa a été vendue pour servir de résidence au consul de France à Fès.
En face des Milleret il y avait les ateliers Hayet, Basone ... Et puis les familles.
On y reviendra ...
JP Bourdais



3 modifications. Plus récente: 18/01/14 14:03 par jpb.

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: lun. 20 janvier 2014 19:06:36

Société Industrielle Oléicole Marocaine



Pour les amoureux qui s'en vont rêver les jours d'été, près des eaux claires et des arbres d'Aïn-Chkeff, cette grosse bâtisse, constitue la pointe avancée de la ville de Fès vers le « Robinson » fassi. Pour les membres de l'association syndicale des « Amis de la banlieue de Fès », elle est plutôt le mauvais ange d'où son déversés, sur tout un quartier, de déplaisants arômes ! Pour les oléifacteurs du Maroc elle est l'établissement qui raffine 15% des huiles marocaines. Pour quelques deux cents travailleurs, elle est le lieu où ils exercent leur principale activité. Pour des centaines de marchands, elle est le point d'accès des tonnes de fruits qu'ils livrent tous les ans. Enfin pour des millions d'oliviers, elle est l'aboutissement logique de leur production d'une année ; et sa vie, dans une certaine mesure, est placée sous la dépendance directe de la qualité de la récolte.

La Société Industrielle Oléicole Marocaine (S.I.O.M)* est la plus importante des huileries fassies et dispose en ses locaux de la route d'Aïn-Chkeff de l'installation la plus moderne. Il n'était pas question à ses origines de lui donner une telle destination : elle avait en effet été créée pour le seul traitement des grignons de Fès. Son activité s'est très largement accrue depuis cette date puisqu'elle procède au traitement de toutes les graines oléagineuses et au raffinement de l'huile d'olive.

*Société anonyme créée en 1939. Président du conseil d'Administration : Edouard Gouin. Directeur : Max Berneix. Administrateurs délégués : André Lafon, et Louis Pittion. Cadres et ouvriers : 125


En ce qui concerne les olives, la production locale suffit évidemment à alimenter la SIOM. Les arachides viennent du Sénégal ; le tournesol, le lin et le carthame (plante herbacée oléagineuse) viennent du Gharb, des régions de Fès, Meknès et Oujda. Les produits fabriqués sont destinés au ravitaillement de tout le Maroc. Le principal marché de la SIOM est évidemment le nord marocain. Mais elle exporte aussi vers Casablanca et les principales villes où l'industrie de la conserve s'est installée.

Fès, première région oléicole du Maroc

La première question que l'on peut poser en prenant connaissance de ces destinations, consiste à demander comment il se fait que de Fès, on exporte l'huile vers les régions lointaines du Maroc qui doivent avoir leurs huileries propres traitant les produits du cru. A travers tout le Maroc on voit en effet des oliviers et le profane comprend mal que les marchés de Casablanca, Safi, Mogador, Agadir soient ouverts aux produits de la région de Fès. Cet étonnement est la traduction de l'ignorance de la situation exacte de la culture de l'olivier au Maroc. Lorsqu'on sait que la région de Fès avec environ 3 millions et demi de pieds d'oliviers possède le tiers des oliviers du Maroc, ces exportations s'expliquent. De Casablanca et d'ailleurs nombreux sont ceux qui doivent utiliser des olives de notre région. Les uns achètent donc sur place la matière première, les autres achètent l'huile fassie.

Ralentissement d'activité

Parmi ces acheteurs, les conserveurs sont évidemment au premier rang. Dans ces conditions comme certaines de ses « sœurs » fassies, la SIOM souffre e la crise de la conserverie marocaine dont l'activité réduite s'est traduite à Fès par le ralentissement du travail des oléifacteurs.

Mais la crise de la conserverie n'est pas la seule raison du ralentissement d'activité tel qu'au lieu d'employer comme il ya quelques mois 250 ouvriers, la SIOM n'en compte aujourd'hui qu'une centaine : toute l'huilerie marocaine souffre de la crise due à un suréquipement considérable. Comme en d'autres domaines des industries de France sont venues s'installer pour des raisons diverses. De ce fait le Maroc où l'on consomme annuellement 25 000 tonnes d'huile est suréquipé pour dix ans. Sans doute les producteurs peuvent-ils compter sur une augmentation de la consommation due surtout à,la conquête de la clientèle marocaine par l'huile raffinée. Il n'en est pas moins vrai que la situation actuelle n'est pas absolument encourageante.

Guerre de Corée

La crise de l'huilerie a eu d'autres causes. Au début de la guerre de Corée, les industriels ont fait des stocks considérables après avoir acheté des olives au cours le plus élevé. Dès que la situation se stabilisa en Corée, tous les pays du monde liquidèrent leurs stocks. Les cours s'effondrèrent, si bien que l'huile raffinée dont le prix était, me dit-on, il y a dix-huit mois à 275 francs le kilogramme a été vendue à 185 francs et maintenant à 225 francs.

Défense de l'industrie

A l'inverse cependant, d'autres groupes d'industries, les oléifacteurs et raffineurs ont obtenu du gouvernement qu'il défende cette industrie qui représentent plus de deux milliards d'investissements et a de ce fait une importance économique et sociale prépondérante. Les importations en provenance d'autres pays ont donc été stoppées. Serait-il possible aux huiliers marocains d'écouler leur produit sur les marchés extérieurs : la place est prise par d'autres pays tels que l'Espagne et la Tunisie qui vendent à des prix imbattables.

Bilan

Au ralenti, la SIOM poursuit évidemment son importante activité qui se traduit en chiffres : 2 500 tonnes d'huile ont été produites l'an dernier. Résultat de la pressuration des grignons transformés aussi en huile qui n'en sont d'ailleurs pas à leur dernière étape puisque ce qui en reste est récupéré et transformé en combustible qui alimente à raison de 20 à 25 tonnes par jour d'immenses chaudières. D'autre part les tourteaux provenant des graines sont traités et transformés en aliment composé pour le bétail.

Désodoriser ?

Nous avons évoqué l'une des opinions des « Amis de la banlieue de Fès » au sujet de la SIOM. Elle n'est pas précisément aimable et il est certain qu'en des jours où le vent est mal intentionné il délègue vers Fès un air aromatisé de telle sorte qu'il déplaît à juste titre à ses destinataires. Aux dirigeants de la SIOM, ce problème n'échappe pas mais au Amis de la banlieue il ne peuvent que répondre « technique». Il est très difficile d'annuler complètement ces odeurs, il en va de même dans d'autres villes et il n'y a pratiquement pas de lutte efficace possible.

20 milliers d'oliviers de plus ?

En dépit des difficultés économiques passagères, à la tête des grandes huileries fassies, la SIOM poursuit son activité parmi les champs d'oliviers qui s'étendent sur toute la région. Elle est l'une des plus importants exutoires nécessaires aux millions de tonnes de produits par des arbres qui appartiennent presque tous à des agriculteurs marocains. Mais sur la récolte et son traitement demeure suspendu comme une hypothèque un problème : celui de l'écoulement des produits finis. Il demeure prépondérant et conditionne dans une large mesure la traduction dans les faits de ce que déclarait récemment M. René Dumont, maître de conférences à l'Institut National Agronomique :« il y a place au Maroc pour 10 à 20 millions d'oliviers en plus ».

( à suivre le "roi" coton et Nassige el Maghrib)

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: ven. 24 janvier 2014 23:30:25

Le « Roi » coton règne en maître à NASSIGE EL MAGHRIB


Hérodote a connu le coton par ouï dire : il nous parle d'une « plante portant de la laine ». En ce temps là cependant le « Père de l'histoire » ne pouvait imaginer que le produit de cette plante allait dépasser en poids celui de tous les autres textiles réunis de telle sorte qu'il serait sacré le plus important de tous les textiles.

Il ne savait pas non plus que la plante portant la laine permettrait de fabriquer l'un des éléments essentiels du vêtement en tout pays. Mais les historiens et surtout les économistes du XXème siècle peuvent, à juste titre, saluer le triomphe du coton qui leur servait surtout hier à se vêtir et qui trouve aujourd'hui bien d'autres usages non négligeables en des domaines tels les explosifs, la pharmacie, les filtres et le revêtement intérieur des pneus pour ne parler que des principaux !


Deux étapes


S'il est dans la vie courante de chacun de nous le roi des textiles, le coton est incontestablement le seigneur et maître des lieux à l'usine de Dokkarat où s'installa il y a huit ans « Nassige el Maghrib » (Les Textiles du Maroc). A vrai dire, cette installation n'a été qu'un déplacement dans l'espace de la première-née des industries textiles de la région. Avant cette installation, en effet, les frères Sebti avaient mis en place, en 1941, quelques métiers à tisser route de Sefrou et l'on y travaillait en liaison avec de grandes firmes des Vosges. Des liens plus étroits se nouèrent entre les correspondants français et marocains qui provoquèrent la naissance de la S.A.R.L. Nassige el Maghrib*. Du matériel utilisé dans les usines des Vosges fut installé au Maroc dès que fut construite l'usine de Dokkarat qui, peu à peu, s'est agrandie.

* Nassige el Maghrib, société à responsabilité limitée, au capital de 168 millions de francs. 150 cadres et ouvriers. Gérants : Guy Charoy, Hadj Mohamed Sebti. Directeurs : Jean-Louis de Sainte Agathe, Mohamed Benjeloun et Ahmed Sebti.


Coton et rayonne


La matière première est surtout le coton, parfois associé à un textile concurrent la rayonne. Ce coton vient d'Amérique, mais l'on a fait quelques essais d'utilisation de coton marocain et plus particulièrement des Beni Amar. On sait toutefois que l'on en est au Maroc, en ce qui concerne la culture du coton, qu'au stade expérimental : il n'est pas encore possible de déterminer dans quelle mesure « la laine de la plante » obtenue sur place, satisfera les industriels marocains. Il faut souhaiter, pour diverses raisons que nous évoquerons plus loin, que ces essais soient concluants : la balance commerciale du Maroc sera la première à y trouver son compte.


Marché immense


Installée à Fès, Nassige el Maghrib écoule la plus grande part de sa production sur le marché local. Le coton est le textile le plus en faveur auprès des Marocains et quelle que soit la concurrence que puissent lui faire la laine ou la soie, les cotonnades produites au Maroc ont toutes les chances de trouver longtemps encore un écoulement facile.

Il est très important de noter en effet qu'en ce qui concerne cette industrie, et contrairement à ce que nous avons constaté au sujet des constructions métalliques et de l'huilerie par exemple, le Maroc est sous-équipé. Une autre très importante usine se construit actuellement à Dokkarat qui entrera en activité très prochainement : le problème de l'écoulement de la marchandise ne devrait pas se poser pour elle plus que pour ses « sœurs » marocaines. Et pourtant …


Problème de la concurrence


Il y a en effet un « mais » à l'essor que l'on pourrait pronostiquer pour l'industrie textile marocaine
si l'on s'en tenait à l'étude du seul marché local qui paraît intarissable d'ici longtemps au rythme de la fabrication locale. C'est, qu'en effet, peuvent être importés de pays plus ou moins lointains des tissus étrangers qui sont vendus moins chers au Maroc que les produits fabriqués sur place. Résultat : la population locale achète les produits étrangers de préférence aux produits locaux et les industries marocaines ne peuvent se développer et accroître leur rythme de production comme elles le souhaiteraient.

Dès lors se pose un double problème difficile à résoudre : qui faut-il défendre ? Le consommateur en ouvrant grand les frontières aux cotonnades étrangères ou l'industrie locale en fermant ces frontières ?


Fermer les frontières dans certains cas


Les industriels estiment que le gouvernement devrait fermer les frontières aux produits qui peuvent être fabriqués sur place et dans la mesure où l'industrie marocaine suffit à alimenter le marché local**. Il ne semble pas que, ce faisant, les intérêts des consommateurs soient lésés si l'on tient compte des augmentations qui ont été enregistrés dans d'autres domaines tels et pour ne citer que les produits de première nécessité, le pain, le sucre, le thé.

** Au Maroc, l'industrie de transformation cotonnière n'existait pas avant la guerre. Aujourd'hui elle occupe une place sans cesse grandissante. Plus de 20 000 broches seront demain en état de produire près de 150 tonnes de filés par mois. Cette production pourra alimenter dans une forte proportion les usines existantes qui totalisent près de 1000 métiers, 32 ateliers de bonneterie et 8 de passementerie, produisant annuellement plus de 5 000 000 de mètres de cotonnades adaptées au marché marocain, 3 000 000 de sous-vêtements et survêtements et plusieurs tonnes de garnitures.

Si l'on considère, par exemple, que chacun des sept millions de Marocains utilise par an, de 7 à 8 mètres de cotonnade, si l'augmentation représente 10 francs par mètre, cela ne fera au total qu'une dépense de 80 francs par an, tandis qu'en moyenne, pour les autres produits, la différence a dépassé depuis plusieurs années, 1000 francs.


Production ralentie


Dans les conditions actuelles « Nassige el Maghrib » ne travaille qu'au tiers de sa capacité totale. La filature d'ailleurs n'est mise en route que depuis six mois et le personnel n'est pas encore complètement formé. Toutefois plus de deux cent mille mètres de tissu sortent de l'usine chaque mois pour être vendus sur le marché local. Certains ateliers n'étant pas encore complètement terminés, ce sera un ensemble installé suivant des normes extrêmement modernes qui fonctionnera à plein rendement dans quelques mois.


Essor nécessaire de l'industrie textile


Cette grande usine textile fait partie en somme des nouvelles installations analogues qui se montent actuellement au Maroc. Nous parlions plus haut des avantages que l'on pourrait tirer du développement de l'industrie textile au Maroc : ils sont considérables. Avant la guerre, en effet, le Maroc importait 80 à 100 millions de mètres de cotonnades représentant la production de 10 000 métiers à tisser. Dans la mesure où sera comblé l'écart entre la capacité de production du Maroc et le volume de la consommation locale, sera compensé cette terrible hémorragie de devises pour l'importation de produits essentiels à la vie du pays.

La lutte contre cette hémorragie de devises sera complétée à partir du moment où l'on pourra trouver au Maroc la matière première nécessaire à la vie de cette industrie.


La culture du coton


Jusqu'à présent, en effet, n'ont été réalisés que de timides essais de plantations cotonnières. Si les résultats se révèlent probants, on peut espérer que cette culture se développera au Maroc où elle doit trouver quelques éléments particulièrement favorables : sur le plan climatique d'abord, éléments qui tiennent aux conditions physiques de la culture du coton : chaleur pendant 150 jours environ, humidité suffisante. Sur le plan social ensuite : il faut une main-d'oeuvre nombreuse et pas chère. Sur le plan économique enfin : il faut une clientèle dense et dont le budget soit relativement modeste (les populations riches achètent plutôt d'autres textiles.

Ces quelques éléments témoignent, en définitive, en faveur de l'essor de l'industrie textile au Maroc. Celle-ci sera encouragée si le gouvernement la défend et la favorise dans la mesure où cette défense est justifiée par son importance économique et sociale ; et, dès lors, nos industries textiles fassies, placées au centre d'une des régions où la densité des acheteurs est le plus considérable, pourront recueillir les fruits de leurs efforts.

( à suivre Tuiles et Briques de Fès)



1 modifications. Plus récente: 25/01/14 22:09 par georges-michel.

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: carole (Adresse IP journalisée)
Date: sam. 25 janvier 2014 10:11:05

Merci Georges pour ce nouvel aperçu des industries marocaines et plus particulièrement fassies.
Qu'est devenue l'usine de Dokkarat ? Est-elle toujours active ?

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 26 janvier 2014 09:51:13

Bonjour Carole,

Je ne sais pas si l'usine existe toujours, en tout cas pas sous ce nom. Dans les années 1960 la société Texnord avait une usine à Dokkarat, peut-être avait-elle racheté Nassige el Maghrib. Texnord a connu des difficultés financières et a changé de mains plusieurs fois.
Je crois qu'il y a toujours à Dokkarat une usine textile; est-elle issue de Nassige el Maghrib ou d'une restructuration de Texnord ? je l'ignore.

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 26 janvier 2014 10:02:13

Au feu d'enfer des TUILES ET BRIQUES DE FÈS

( j'ai déjà mis ce sujet en ligne le 26 mars 2012, dans ce même forum, Fès et sa région. Je le ré-insère ici car il faisait partie des articles de Christian Houillon sur les grandes industries fassies . Il aurait d'ailleurs fallu l'insérer plus haut, pour respecter la chronologie, car l'entreprise a été créée en 1929)


Tous les toits de nos maisons sont en argile. Ou presque tous ! D'où vient-elle ? de Louajjerine* très souvent. Par quel processus ? C'est très simple ! A Louajjerine la nature a créé quelques immenses carrières et j'ai rendu visite à ceux qui y travaillent dans la plus grande.

* Louajjerine est situé sur la droite de la route de Taza presque en face du Fondouk Américain

Le soleil, au matin, joue sur les bleus de ces argiles une symphonie de couleurs du bleu tendre à l'indigo. Les jours où le soleil ne brille pas, la carrière a l'air morose, la terre pleure et dégouline au long des pentes des larmes sales ! Ce n'est tout alentour qu'un lac de boue sur lequel le floc ! floc ! des gouttes de pluie vient ajouter à la tristesse du décor.

Depuis vingt-cinq ans déjà, le chemin de la terre de Louajjerine à nos toits est le même : du moins en son tracé car sur divers points du parcours le matériel a bien changé à tel point que l'usine de Tuiles et Briques de Fès** sise à proximité de la route de Taza, est aujourd'hui la plus moderne du Maroc équipée presque toute entière de matériel neuf.

**Tuiles et Briques de Fès est une société anonyme au capital de 36 millions de francs, créée en 1929 par Roger Hourdillé (également fondateur d'Adour Sebou en 1921). président du Conseil d'administration : Roger Hourdillé. Directeur : Joseph Foucher. Chef de fabrication : M. Scherer. L'usine emploie environ 120 ouvriers et cadres.sur la droite de la route de Taza presque en face du Fondouk Américain

Tout cela ne nous dit pas le tracé que suit l'argile de Louajjerine ! De la carrière de neuf hectares, les ouvriers la jettent en wagonnets. Quelques-uns s'arrêteront tout près de là et sous un petit hangar on préparera la jouba, brique pleine marocaine et quasi traditionnelle.





Un simple périple de la terre à l'enfer


Le plus grand nombre des wagonnets suit tranquillement le rail jusqu'à une série de machines volumineuses et aussi élégantes dans leur rotondités de mastodonte que le plus petit mécanisme d'une montre de prix. D'un doseur, l'argile tombe sous les coups de boutoir d'un broyeur de vingt tonnes dont les deux immenses rouleaux semblent défier tous ceux qui prétendraient vouloir les arrêter dans leur marche rondelette telle celle des chevaux aveugles qui serrent la vis du pressoir. Du broyeur au tapis roulant , de celui-ci aux silos où la terre « repose » huit jours. Après cette petite étape, la terre humide reprend sa marche. Fini dès lors le stade d'amalgame inconsistant de milliers de particules. Au passage à la mouleuse qui débite six mille briques à l'heure, la terre devient compacte et son humidité brune lui donne l'aspect d'immenses tablettes de chocolat au lait. Lisses et tendantes, les briques sont distribuées par un fil à couper le beurre méthodique et rapide qu'elles quittent en petit train jusqu'aux séchoirs qui les abritent trois jours (séchoir artificiel) ou vingt-cinq jours (séchoir naturel). Enfin dernière étape, c'est le four : immense chambre circulaire qui ressemble comme un frère à tous les fours de l'enfer ! Le feu d'ailleurs y jette sa lueur sans discontinuer allumé un jour ici, un jour là. Les briques dorment dans cette chambre tandis qu'allant crescendo et decrescendo, le feu fait le tour de l'enfer pour cuir au maximum les briques à 800 degrés. Le feu du diable est passé : les briques sont cuites ! Les voici rouges et pimpantes prêtes à égayer nos toits et à recréer au Maroc autant de coins de banlieue parisienne qu'il nous plaît d'en ressusciter …!


On fait de tout


Les Tuiles et Briques de Fès ne se limitent pas d'ailleurs à la seule catégories de produits qui couvrent le chef des maisons. A peu près toute la gamme des briques est fabriquée à Fès qui a l'exclusivité du Maroc des hourdis-pfeiffer destinés à la construction des plafonds et réputés pour leur qualité d'insonorisation et d'isolants. Quant aux tuiles, ce sont des tuiles plates type « Marseille ».


Essor promis


La matière première est tout simplement notre bonne mère la terre qui n'est pas avare puisqu'à Louajjerine où l'on travaille à ciel ouvert depuis bientôt vingt ans, on pourrait aux dires de géologues, aller chercher l'argile jusqu'à cent mètres sous terre. Pour traiter l'argile très pure de Fès, il faut surtout des machines et du charbon. Les machines Rieter viennent d'Allemagne. La plupart sont installées depuis 1951 et permettraient à l'usine d'augmenter considérablement son volume de production. Il en ira ainsi sans doute au mois de juin lorsque seront achevés les nouveaux bâtiments en cours de construction et le nouveau four zig-zag. De 40 tonnes de produits par jour, on passera donc à près de 80 tonnes. Ce qui prouverait si l'on en doutait que l'on construit beaucoup au Maroc !
Le charbon qui tombe dans les fours en pluie enflammée sur les briques et les tuiles vient de Djerada et surtout de Kenadza (Algérie).

Ces tuiles et briques sont destinées au marché local et plus particulièrement à la région Fès-Taza et du Moyen-Atlas.


Standardisation à outrance


Ce qui est le plus remarquable dans cette belle entreprise : la standardisation et le système de cette chaîne qui est si parfaitement organisé que pour fabriquer d'excellents produits, suffisent deux dirigeants : le directeur M. Joseph Foucher et le chef de fabrication M. Scherer -qui il est vrai ce chôment pas ! - Le reste du personnel est subalterne, 120 Marocains la plupart employés à ces travaux depuis longtemps et familiarisés avec leurs tâches.


Vilain oued


Ainsi l'avenir des « Tuiles et Briques de Fès » est assez encourageant pour que ses animateurs voient la vie en rose ! En rose telle les briques qui les environnent et dont ils rêvent, comme il se doit, de décorer toute la ville et la région. Leurs sourires optimistes seraient pourtant distribués alentour plus libéralement encore si l'on songeait à détourner le cours de l'oued El Adam dont les méandres contribuent en période de fortes pluies à envahir tout ce fond de vallée. Ces divagations de l'oued se soldent aux mauvais jours, par la perte des marchandises entreposées et par la noyade des fours ; pour le plus grand déplaisir de Satan qui s'exerce si parfaitement à y répandre le feu qui généreusement dore les briques et les peint couleur de joie et de plaisir. »

( A suivre La Branoma)

Pièces jointes: 022 Mellah et briquetterie.jpg (68.3KB)  
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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: sam. 1 février 2014 14:09:58

LA BRANOMA: Brasseries du Nord Marocain


A propos de la grande brasserie connue de tous les fasis.

La première partie est un article de Michel Kamm de juin 1951. La brasserie venait d'ouvrir route de Sefrou: il s'agissait d'une filiale de la Société des Brasseries et Glacières internationales (SBGI) créée , elle, en 1919. La Branoma est constituée le 29 décembre 1947, La mise en route, après construction des installations industrielles intervient en 1951.

Le deuxième article de Christian Houillion, en mars 1953, prend place dans son étude sur les grandes industries de Fès.



«La Brasserie » qui va rayonner sur tout le Nord et l'Oriental

( article de Michel Kamm, le Courrier du Maroc 19 juin 1951)


Dédiée à quelques-uns de nos concitoyens qui ne voient que les ombres d'une situation, en se bouchant les yeux pour ne pas voir les bons côtés, cette information à la vérité, rien moins que prématurée, va peut-être apporter quelques raisons supplémentaires à un acte de foi dans la cité.

La grande brasserie, très moderne, qui dresse désormais ses hautes structures à gauche de la route de Sefrou, au bord de l'oued Mahrès, fabrique déjà de la bière, de la bière de Fès, depuis près de deux mois, et à la période des tâtonnements et essais succède maintenant celle extensive, de la production et de la conquête des clientèles ; on verra par ce qui suit, que cette industrie nouvelle mérite de gagner la plus large place, aussi bien sa constitution en société autonome « Brasseries du Nord Marocain » (Branoma)*, au capital de 200 millions avec deux usines : Fès et Meknès, qui la détache de fait, de la société créatrice « La Cigogne » dont elle conserve la marque, lui permet-elle de s'assurer le marché dans le rayon de Fès, Ouezzane, Meknès, Tafilalet, le Maroc oriental et sans doute, plus tard, celle du Maroc espagnol, vers Melilla.

* Branoma : Président du conseil d'administration : Louis Sicot. Administrateur délégué : Henri Faivre. Directeurs : Pierre Gatty, Edmond Meyer. 170 cadres et ouvriers

La société des Brasseries du Nord Marocain fait par ailleurs partie d'un groupe très puissant qui, tant en Europe qu'en Afrique, associe des brasseries importantes, en tout une douzaine d'Abidjan à Douala (de l'Ouest africain), Brasseries de l'Indochine et autres grandes industries d'Alsace et de l'Est.

M. Edmond Meyer, venant de Marrakech, où il dirigeait l'affaire depuis 1947, après avoir été avant-guerre, pour la même firme à Dakar, en est le directeur commercial, et c'est lui qui, aimablement a bien voulu nous communiquer ces renseignements de base, tandis que M. Gatty, directeur technique nous montrait les miracles mécaniques de cette usine « up to date ».

Avec ces messieurs, des techniciens venus en droite ligne des plus grandes brasseries de l'Est, dirigent les compartiments techniques de la fabrication : M. Wolfensberger, chef de l'entretien, monteur et spécialiste de la machinerie ; M. Rémy, chef de fabrication, de l'école de Brasserie de Nancy, et M. de Frada lui aussi de l'école de Brasserie de Nancy.

C'est qu'il en faut des techniciens et des vrais pour faire tourner une usine, un appareillage dont le matériel spécial a coûté cinq cent cinquante millions ( et je ne parle pas des bâtiments) dont la salle des transformateurs prend du courant à 5 500 volts pour le réduire à 220 volts ; et dont les chaudières couvrent 240 mètres carrés, sur une surface totale de l'usine de quatorze mille mètres carrés.

Pour diriger enfin quelques cent vingt collaborateurs et ouvriers parmi lesquels le plus grand nombre recruté à Fès a du faire dans ce métier nouveau, un total apprentissage, et qui rapportent rien qu'en salaires, à l'économie de la cité quelque vingt millions annuels et aux caisses de l'État environ dix millions de taxes diverses.

Quelle est votre production actuelle, ai-je demandé à M. Meyer et vos perspectives d'extension ?

Nous pouvons fabriquer cette première année soixante mille hectolitres, on pourra l'année prochaine au gré de l'agrandissement prévu arriver à 75 000, puis au fur et à mesure de l'achèvement du programme total de nos caves et magasin de stockage, à 90, 95 et même cent mille hectolitres.

A titre de comparaison la Brasserie La Cigogne à Casablanca produit 250 000 hectolitres.
Notre matériel de transport et camionnage est notre propriété à Fès.

Et pour l'orge ? Demandons-nous, car cela intéresse la production locale. Pour l'orge maltée tout vient du Maroc , de Casablanca en ce qui concerne la bière ordinaire. Pour la Stork, il ya dedans 20% d'orge d'Europe.

J'ai vu ce malt dans les hauts étages du gratte ciel, avant qu'il ne soit écrasé, moulu, tamisé : il s'agit, on le sait, d'orge germée à une température voulue, puis débarrassée de son germe, ensuite grillée.

Il y aura un intérêt évident pour notre production locale, à ce que cette orge soit plus tard maltée ici, mais ceci est une autre histoire qui intéresse la fabrication elle-même, opération de véritable cuisine, impliquant la présence de houblon combien coûteux: 1700 francs le kilo.

S'il est facile d'assimiler des renseignements sur la production et apprendre par exemple que 300 brassins annuels de 3 500 kilogrammes d'orge maltée consommant en gros quelques 10 500 quintaux d'orge maltée (il faut compter 25% de plus pour totaliser les besoins en orge brute de production marocaine) exigent 600 tonnes de charbon de Djerada, quinze mille mètres cubes d'eau de la ville et un million de kilowatts de la Compagnie Fasi, bien autre chose est de s'y reconnaître dans les arcanes de ces énormes bâtiments à cinq planchers qui alignent des caves réfrigérantes aux terrasses brûlantes sous le chergui, des batteries d'appareils étranges, où la chaudronnerie de cuivre dispute d'éclat reluisant avec les étonnants alambics et les transformateurs hallucinants qui domestiquent les volts et les kilowatts.

Le visiteur ainsi balancé de salle froide en salle chaude, de la fermentation au laboratoire où cuit la « soupe » à 101 degrés dans des soupières géantes contenant 200 hectolitres, et qui se retrouve dehors, tout ahuri, mais soulagé de ne pas avoir été mélangé, filtré ou abandonné tout vif dans les énormes compresseurs à air ou à glace, ou encore pompé avec la saumure dans les cuves à deux degrés, contemple de loin ces engins apocalyptiques qui évoquent des compartiments de sous-marin, je veux parler des grosses cuves de 250 hectolitres chacune, en acier vitrifié, où des hublots laissent apercevoir la vivante fermentation (il y a comme ça 60 de ces énormes tanks, qui ont coûté près d'un million et demi chacun).

Aussi bien que de décrire tant de machines qui déroutent l'imagination, et de salles, de caves, de cellules, de compartiments et d'automates, suivez avec moi le guide qui expose bien mieux le processus de cette fabrication dont l'opération totale s'appelle « Brassin » et qui peut être le meilleur guide que M. Gatty, technicien de la Brasserie depuis un quart de siècle et qui est venu directement du Nord (de Saint-Amand-les-Eaux) pour monter il y a deux ans l'usine de Fès.

Nous apprendrons ainsi de façon incidente, qu'une partie du matériel neuf vient de la fameuse brasserie de Maxéville.

Donc, dans le haut édifice qui domine la rive de l'Oued Mahrès, et en partant du sommet, cette terrasse ensoleilée (oh combien!) dont je vous parlais tout à l'heure, l'orge maltée, l'escourgeon, stockés dans les silos, descend au fur et à mesure des besoins : 35 quintaux par brassin au moulin où elle est écrasée, moulue en farine, puis glisse dans le magnifique laboratoire, disons plutôt une cuisine où les énormes poussières soupières la cuisent à 101 degrés pour la transformation de l'amidon en sucre, opération qui s'appelle la « saccharification ».

Le filtrage qui s'en suit a pour premier objet de séparer les résidus et en premier lieu la drèche.
Celle-ci recueillie dans les panneaux de toile fournit donc presque journellement trois tonnes et demi de ce résidu, si connu et apprécié en France pour l'alimentation du bétail, et qui apporte désormais à Fès la matière et qui apporte ainsi désormais à Fès une matière, à la fois riche et peu coûteuse, en faveur de notre élevage, notamment pour les vaches à lait.

La drèche écartée, le jus sucré provenant de la « soupe »est un moût qui est cuit pour stérilisation et passe ensuite au « houblonnage », il faut 300 à 400 grammes de ce précieux houblon, provenant de Tchéchoslovaquie que pour donner goût et arôme, à un hectolitre de moût.

Avec cette addition de houblon se produit le collage qui donne le « tranché » de la bière, ensuite le liquide bouillant est pompé sur un bac refroidisseur et y laisse son dépôt ; et c'est alors la mise en levain du liquide refroidi et son passage (pour huit ou quinze jours) dans les grosse cuves, les tanks de métal vitrifié de 250 hectos chacune, où l'on pourra suivre par un hublot la fermentation.

Là se fait la récupération du gaz carbonique, qui mis en bouteille, servira à la fabrication du Judor, et à la fourniture aux cafés pour leur soutirage.

Cette opération de fermentation « principale » est suivie par une mise en cave où la fermentation à basse température, sous pression, a pour but l'incorporation à la bière du gaz sous pression, qui la rend mousseuse.

Et c'est enfin, après filtration, et après un mois et demi de cave la mise en fûts ou en bouteilles « Stork » dont on suit avec émerveillement la mécanisation ultra-moderne évoquant le monde futur et l'automatisation des robots : tapis roulants, chaînes de lavage ou de remplissage, tubes injecteurs, capsulage, tout cet étonnant appareillage emplissant 4 000 bouteilles à l'heure ! (Le Judor qui est produit dans une salle adjacente, sort à raison de 1 200 bouteilles à l'heure, la matière première : 1500 tonnes d'orange pressées vient de Port-Lyautey)

Et maintenant ? me direz vous, avez vous goûté la bière, et quelle impression ? Ma foi, je fais confiance à l'eau de Fès, dont la qualité, la limpidité, la nature magnésienne, a fait choisir cette ville préalablement à tout autre, mais surtout confiance aux bons techniciens qui ont été choisis pour créer de toutes pièces cette industrie, en raison de leur expérience professionnelle, de leur spéciaisation.

Déjà depuis quelques jours, et en considérant que le premier « brassin » de la bière de Fès n'est sorti qu'en avril, la qualité, le bouquet devrais-je dire, de notre bière est très amélioré, le goût un peu amer disparaît progressivement, le liquide devient riche, plus mousseux et coloré, et foi d'homme du Nord, je le déclare excellent.


LA BRANOMA




La bière de Ramsès est devenue la nôtre

(article de Christian Houillion, dans la série « A la découverte des grandes industries fassies, en mars 1953).


N'est-il pas vrai que pour nombre d'entre nous le seul terme de bière évoque les pays du Nord de l'Europe, les grandes brasseries scintillantes de mille lumières, la corpulence de bons gros belges à l'accent savoureux, le tintement des verres multiformes dans les salles enfumées des auberges alsaciennes, allemandes ou néerlandaises. La mousse même de la bière évoque une corpulence qui n'est pas le propre des peuples méditerranéens. Et pourtant, l'histoire nous démontre que les Méditerranéens furent les inventeurs de la première bière et les premiers consommateurs.

Un peu d'histoire

Il faut remonter jusqu'aux Égyptiens de l'an 1700 avant Jésus-Christ environ, pour découvrir le premier « demi » ? Sur les images décrites qui nous le révèlent est inscrite à peu près toute l'histoire de la fabrication de la bière : point de départ pharaonique : les céréales, le vase à fermentation et jusqu'à une gente dame qui, quelque peu grisée par ce nectar rend très négligemment à la terre le produit que les fellahs avaient préparé. Comme pour tant d'autres produits, l'histoire fut pour la bière que l'on appelait « zuthum » un perpétuel recommencement : d'Égypte en Grèce, et le père de l'Histoire Hérodote parle aussi bien du « zythos » que de la plante qui porte de la laine ; de la Grèce aux Romains, des Romains à la Gaulle et de la Gaulle à tout le Nord de l'Europe.

Tradition

La Branoma n'est donc pas dépaysée sur la terre africaine et si la blancheur immaculée de ses murs contraste avec le gris terne et triste des bâtiments de ses « sœurs » occidentales, c'est peut-être une manière à elle de dire sa joie de se retrouver sur un sol traditionnellement voué à la fabrication.
Qui dit céréales et vignobles dit bière et vin : voilà très schématiquement et audacieusement résumé l'histoire des deux grands concurrents qui se disputent le palais des hommes du XX ième siècle.

A vrai dire la bière que nous offre la Branoma n'est pas exactement celle que burent Ramsès, Domitien et Clovis. De leur temps les céréales fermentées étaient aromatisées avec quelques épices, gingembre ou genévrier. Depuis le XX ième siècle, ce rôle d'aromate a été dévolu à l'orge. Nous connaissons tous le goût de la bière fassie. Que valait celui de la bière d'antan, Martin Luther nous le dit à peu près dans ses « Propos de table »

« Un savant ayant déclaré à la cour de l'électeur de Saxe que Tacite appelait les anciens des « buveurs sans vergogne », il se trouva un noble qui demanda depuis quand ces lignes de Tacite avaient été écrites. Depuis quinze cents ans environ, fut-il répondu. Oh, s'écria alors le noble personnage, si l'habitude de boire ainsi à force de la bière est aussi ancienne et aussi vénérable, il est certes de notre devoir de ne pas la laisser tomber en désuétude » Ce qui laisse à penser que la bière de ce temps là n'était pas sans saveur !

Un grand domaine

En fait la Branoma quoique de création relativement récente (cf texte précédent) avait eu une à Fès même une mère. Des entrepôts existaient depuis 1925 et plus tard fut créée une usine installée boulevard Poeymirau. Depuis la Branoma a pris naissance et construit cet admirable ensemble proche de la route de Sefrou et qui est équipé d'un matériel ultra-moderne.

Cette importance se traduit d'ailleurs par le rayonnement de l'usine de Fès : tout le Nord du Maroc
d'Oujda à Meknès compris et suivant une ligne Ouezzane, PetitJean, Khénifra, Goulmima est son domaine. Incursion même au Maroc espagnol à Melilla. Ce sont donc des milliers de litres de bière mais aussi de Judor et de limonades qui sont déverséssur ces régions au gré de leurs habitants.

Grosse mangeuse

Ainsi l'activité de la Branoma s'exerce -t-elle dans un double domaine et présente-t-elle pour la l'économie de la région un intérêt primordial puisqu'elle contribue à absorber un tonnage énorme de céréales et d'agrumes. 90% de l'orge utilisée par la Branoma est marocaine (les 10% restants viennent de France et l'an dernier 12 000 quintaux d'orge ont été employés dans la fabrication de la bière.

D'autre part la fabrication de Judor a absorbé l'an dernier 2 000 tonne d'oranges : ces tonnages d'agrumes et de céréales ne sont donc pas pour laisser indifférents les agriculteurs de la région qui sont les principaux fournisseurs.

Bière et jus de fruit

Que deviennent ces matières premières après leur passage dans cette immense usine : Stork, Stork spéciale, bière la Cigogne, Judor et limonades. Enfin dans quelques semaines à l'approche des jours chauds, fera son apparition sur le marché un nouveau venu : Domino, le soda-maison qui est d'ailleurs en vente depuis bientôt un an mais ne sera baptisé qu'à la veille de son premier anniversaire et nous fera goûter le double arôme du citron et de la mandarine.

Contrat avec le soleil

S'ils passent annuellement des contrats avec leurs principaux fournisseurs de matières premières, il est un personnage que les dirigeants de la Cigogne essaient de faire entrer dans leurs vues : c'est le Dieu du soleil. Ils tentent de le convaincre avec force arguments ( mais lesquels sont valables à ce personnage céleste ? …) de la nécessité de mettre un frein au froid et à la pluie et d'illuminer d'un soleil radieux tout le Nord marocain. Geste aimable à l'intention de tous les habitants de ces régions et qui le serait tout à fait s'il n'y avait avec le Dieu du soleil une clause secrète stipulant que la satisfaction de la Branoma serait grande aux alentours de 30 degrés, que les 40 la combleraient ; à partir de 50 il y aurait j'imagine un va et vient permanent entre la demeure du Dieu soleil et les entrepôts de la Cigogne !

Outre les boissons, la Branoma fabrique aussi la glace qui nous est nécessaire et doit fournir à la ville 100 tonnes par jour. Cette glace servira à rafraîchir les 200 000 bouteilles de bière et les 50 000 bouteilles de boissons gazeuses qui peuvent être produites quotidiennement : on peut penser que par les beaux jours ce total est souvent atteint.

Enfin, sous-produit de l'orge, la drèche est utilisée pour l'alimentation du bétail : il est prouvé scientifiquement que son utilisation entraîne une augmentation de lactation de 15% environ.

Brillant élément d'une famille de brasseries dont la puissance est considérable, la Branoma client précieux de l'agriculture de la région est sans doute l'entreprise fassie dont nous pouvons le plus aisément connaître l'essor : suivons les courbes de la température et nous pourrons tracer en parallèle celle des ventes ! C'est à dire que l'on passe au gré des saisons du « modérato » à
l' « allegro », lequel accentué par une organisation des ventes qui innove audacieusement vaut à la Branoma de brasser, d'une année sur l'autre plus d'orge, et de presser plus de citrons, de mandarines et d'oranges.




La visite de la Branoma était un grand classique pour les différentes associations ou groupements de Fès. Je me souviens d'une visite faite avec les Éclaireurs unionistes de Fès ; c'était une occasion de boire frais ! du Judor pour les plus jeunes, une Storck pour les chefs ! dans des verres gravés « A la Cigogne ». La dégustation était le moment choisi par le guide de la visite pour nous faire un exposé sur l'histoire de la bière et de ses vertus thérapeutiques … auxquelles tout le monde ne demande qu'à croire … certains plus que d'autres au point d'être des adeptes de l'auto-médication. Nous apprenions aussi que le Judor était un jus d'orange authentique, presque pur et non concentré. Chaque flacon, au désign original, contenait le jus complet d'une orange de 165 grammes environ simplement additionné de gaz carbonisé et de sucre naturel.

À la nôtre !!

( A suivre Les Frigorifiques de Fès)



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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: sam. 1 février 2014 23:58:35

FRIGORIFIQUES DE FÈS *

* Frigorifiques de Fès, société anonyme au capital de 15 millions, créée en 1950. Vingt cadres et ouvriers. Président du conseil d'administration : Pierre Guéry. Directeur : Maurice Bongard


Deux articles sur le frigorifique de Fès.


Le premier est paru en 1951 dans « Réalités Marocaines », numéro 3 et intitulé « Évolution du Maroc en 1951». Il s'agissait de donner un aperçu de l'activité économique du Maroc en 1951. Un des articles est consacré au frigorifique de Fès.

Le deuxième est la suite du cycle « À la découverte des grandes industries fassies » du journaliste Christian Houillion du Courrier du Maroc, en 1953



LE FRIGORIFIQUE DE FES
Premier Maillon de la Chaîne du Froid


L'installation


L'installation frigorifique de Fès avait été classée parmi celles à réaliser en première urgence. Construite par les entreprises Soulié et Selva, équipée électriquement par la Sté C.G.E.E., et dotée de cinq compresseurs Brissonneau et Lotz, la STEF assurant le rôle d'ingénieur-conseil, elle a été achevée dans les premiers mois de l'année 1950.

Elle est composée de deux bâtiments séparés par un passage couvert, et une cour, ce qui limite les néfastes transmissions d'odeurs.

Le bloc des viandes, directement relié aux abattoirs, comprend, au rez-de-chaussée, une partie réservée aux viandes fraîches, maintenues à une température de 0° à +4", et une autre consacrée à la congélation à cœur, par —35°, et au stockage des produits congelés. Au sous-sol sont groupées les installations frigorifiques et électriques de tout l'ensemble du frigorifique, ainsi que les auxiliaires (condenseurs, évaporateurs, etc...) ; de plus, une surface de 450 m2 reste disponible pour l'aménagement de nouvelles chambres froides. A l'étage, au-dessus de la partie réservée aux viandes fraîches, une usine de glace peut débiter 10 tonnes-jour, avec réserve de 100 tonnes, et l'ensemble pourra être doublé lorsque le besoin s'en fera sentir.

Le bâtiment ouest, ou des « denrées diverses », à peu près symétrique du premier, comprend le bloc des agrumes, entièrement isolé du restant, pour éviter, là aussi, les transmissions d'odeurs, et le bloc des « divers » proprement dits, destiné à recevoir toutes sortes de fruits et primeurs, et dont une chambre est également prévue, pour les beurres et fromages. Au sous-sol, 1 440 m2 restent disponibles, pour l'extension de ce bloc.

Le volume utile représente donc actuellement 10.615 m3, et l'installation de production de froid, par évaporation d'ammoniac, représente une puissance de 525.000 frigories-heure. Les manutentions sont assurées, pour les viandes, par un réseau de voies aériennes du type bi-rail, et pour les fruits et primeurs, grâce à des chariots élévateurs Fenwick de 1.500 kgs de charge utile.


L'exploitation


Cette réalisation une fois achevée, avec les deniers de l'Etat, il ne pouvait être question pour ce dernier d'en gérer la marche. Celle-ci a donc été confiée à une « Société d'Exploitation de l'Entrepôt Frigorifique de Fès ». Son capital, de 15 millions de francs, a été souscrit à raison de 80 % par des agriculteurs et négociants en denrées périssables de la région, et le restant, par des techniciens ou Sociétés Commerciales s'intéressant au froid.

Sur la part réservée aux capitaux régionaux, 7 millions ont été souscrits par des ressortissants des Chambres d'Agriculture, et 5 millions par ceux des Chambres de Commerce, et dans les deux cas, à égalité par les Marocains et les Français.

De la sorte se trouvent assurées au sein de la société, la représentation de tous les intérêts locaux, et aussi la participation technique indispensable.

Une convention passée entre la société et le Gouvernement Chérifien, charge la première de l'exploitation de l'entrepôt, conformément à un cahier des charges, l'Etat se réservant un droit de regard, en particulier sur la gestion financière. D'autre part, et tenant compte du fait que le démarrage se fera progressivement, le Protectorat pourra en cas de déficit, apporter une aide sous forme de versements remboursables, dont le plafond a été fixé à 10 millions pour l'ensemble des trois premières années.

Pour l'instant, il s'agit de faire entrer dans les mœurs l'usage de cet instrument nouveau, qui présente pour toute la région d'inestimables avantages, à la fois pour la consommation de viandes fraîches, et de fruits et fromages importés, comme aussi pour l'exportation des viandes, agrumes et primeurs. Ces dernières catégories, en particulier, pourront, à travers ce tampon, s'écouler plus régulièrement, et se trouver ainsi moins directement soumises aux aléas des cours.

C'est pourquoi des tarifs très bas sont aujourd'hui consentis, grâce auxquels des utilisateurs de plus en plus nombreux tentent leurs premières expériences... et reviennent.

D'autre part, divers projets s'élaborent, ou sont déjà en cours de réalisation, qui tendent à créer autour de l'entrepôt un réseau d'entreprises utilisatrices assurant son plein emploi.
Déjà, une station de conditionnement d'agrumes a été installée dans les sous-sols du « bloc des divers », loués à la Coopérative des Fruits et Primeurs, à laquelle participe en particulier la Société des Primeurs Marocaines. Cette dernière, filiale des importantes « Primeurs Françaises », vient de commencer son activité, et compte atteindre un trafic considérable à l'exportation, mais aussi à l'importation.

En ce qui concerne les viandes, la Société Marocaine de Productions Industrielles (SOMAPI), filiale de la Société des Eleveurs du Bourbonnais, actionnaire de la Société de Gestion, et possédant en France d'importants entrepôts, comme celui de Villefranche, dans l'Allier, envisage une installation de premier plan. En effet, elle fabrique dans la métropole de gros tonnages de conserves de porc, à partir de viandes provenant en partie du Maroc.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas procéder sur place à ces fabrications ? C'est bien ce qui est projeté. Certaine du concours des éleveurs de la région, cette société réaliserait dans le sous-sol du bloc des viandes actuellement inutilisé, une installation complète, avec salle de coupe et de fabrication, comportant bacs de cuisson, chaîne de mise en boîte, autoclaves, qui permettraient de transformer, d'abord 20, puis 100 porcs par jour.

Déjà, elle a pu passer de gros marchés — en particulier avec l'Intendance — portant sur plusieurs centaines de tonnes de viande de mouton congelée, en caissettes, ce qui assure déjà au Frigorifique une activité importante.

Comme on le voit, une telle entreprise non seulement contribuera fortement au plein emploi de l'entrepôt, mais stimulera grandement l'élevage de toute la région.

Le plus gros problème qui devra être résolu, et dont dépend la réalisation de ce projet, est le fonctionnement des abattoirs. Ceux-ci, construits récemment, sont des plus modernes, mais fonctionnent actuellement sur le mode artisanal, chacun venant à son gré y faire abattre les bêtes qu'il amène. Un tel mode d'exploitation est, on le conçoit, difficilement compatible avec la mise en route d'une « usine » comme celle que conçoivent les Eleveurs du Bourbonnais. C'est pourquoi cette société demande la concession, entière ou partielle, des abattoirs.

Ce qu'il faut évidemment trouver, c'est une solution lésant le moins possible les intérêts de chacun.

Cependant, une rationalisation de l'abattage s'impose, et aurait un autre avantage, également considérable : elle permettrait l'utilisation intensive de ce qu'on appelle le « cinquième quartier », abats, triperie, peaux, os, et surtout glandes de toutes sortes. Ces éléments, collectés partiellement, sont livrés à la vente locale, quand ils ne sont pas jetés. Or on sait les utilisations merveilleuses que fait, en particulier, l'industrie pharmaceutique, de toutes les glandes endocrines. Là aussi, des projets sont à l'étude, qui permettront le ramassage en grand, la réfrigération, et soit l'exportation, soit l'élaboration des extraits sur place. C'est une importante source de revenus qui s'ouvrira, actuellement à peine utilisée, sans compter l'atout que cela représenterait pour l'équipement sanitaire du Maroc.

Quand nous aurons ajouté qu'un nouveau marché aux bestiaux est également réalisé à l'heure actuelle, on se rendra compte que tous ces efforts ne sont pas isolés, mais tendent bel et bien à la constitution d'un ensemble parfaitement cohérent et harmonieux.




LE FROID, INDUSTRIE-CLÉ DE L'ESSOR AGRICOLE est à la portée de tous... grâce à lui doit naître bientôt une puissant industrie de transformation.

(Courrier du Maroc mars 1953)


Les grandes régions agricoles modernes engendrent habituellement cet enfant. Il donne lui-même naissance à toute une équipe de rejetons qui , en grandissant, provoquent autour d'eux une activité extraordinaire elle-même génératrice de richesses. Nous n'en sommes à fès, qu'à la première génération et c'est déjà très bien. Nous avons en effet la mère : c'est la vaste région agricole qui s'étend autour de notre ville.

Nous avons l'enfant : ce sont les frigorifiques. Nous attendons les petits-enfants : ce seront les industries de transformation qui viendront sans doute s'installer auprès de ces parents riches et
puissants.


Contrôler les caprices


Produire c'est bien. Mais pour posséder l'argent qui permettra d'investir pour préparer de futures récoltes, il faut vendre. Or vendre n'est pas toujours facile car les produits « de la ferme » ont de ces caprices les uns contrôlables (productions saisonnières, rythme des naissances des diverses espèces de bétail), les autres pratiquement incontrôlables mais prévisibles (fruits et légumes mûrissent et pourrissent en certaines saisons plus tôt qu'on ne le voudraient !) … Enfin les caprices saisonniers ont une répercussion prépondérante sur la courbe des prix : en telle saison il y aura surabondance sur le marché d'un produit donné : il se vend pour presque rien ; quelques mois plus tard le même produit est introuvable : les prix montent en flèche. Il y a là une application pratique de la loi de l'offre et de la demande : en fait sont lésés tour à tour par cette irrégularité du marché, consommateurs et producteurs.

Ainsi le frigorifique apparaît-il comme le régulateur essentiel grâce auquel pourront être effectuées les opérations de stockage qui permettront d'atténuer les variations saisonnières des cours Or cet outil d’un intérêt primordial est à la portée de notre ville. Lorsque ses utilisateurs se seront eux-mêmes rodés à son usage, producteurs et consommateurs y gagneront beaucoup.


Premières années


En ce tableau très schématique de l'opportunité d'un frigorifique est résumé en somme le détail de son activité annuelle. Y trouveront abri les aliments risquant une rapide détérioration, des aliments dont on a pléthore en une saison et qui font défaut en d'autres. Ce principe d'action s'est raduit en ce qui concerne les frigorifiques de Fès qui entrent dans leur troisième année d'existence par l'abri qu'ils ont accordé en 1952 aux produits suivants :
768 tonnes do viande.
413 tonnes d'agrumes.
560 tonnes d'oignons.
40 tonnes de pommes de terre.
15 tonnes de produits divers.
sans oublier les viandes fraîches entreposées chaque jour par les bouchers fassis. A leur disposition sont mises des stalles où les viandes sont conservées gratuitement pendant cinq jours moyennant le paiement de surtaxe d'abattage.


«Roder » les producteurs


Ce tonnage est déjà appréciable si l'on tient compte de la jeunesse de nos frigorifiques. Il ne s'agit pas dès lors de rôder le matériel : celui-ci dès son installation était susceptible de rendre tous les services qu'on était en droit d'en attendre et l'établissement est dirigé par des hommes connaîssant parfaitement 1a technique du froid et mesurant l'importance commerciale d'un outil de cette qualité. Mais il importait d'abord de « rôder » les producteurs eux-mêmes

Pour eux, en effet, l'existence du frigorifique transforme totalement les possibilités de commercialisation des produits de leurs champs et de leurs étables. Mais il est évident qu'une révolution de cette importance ne se réalise pas en un jour.

Ce tonnage est remarquable parce qu'en effet la plupart des produits entreposés provient de la région de Fès à l'exception des pommes (qui sont européennes) et d'une certaine quantité de viandes congelées en provenance d'Amérique du sud et entreposées de novembre à avril pour la campagne de l'intendance des troupes du Maroc



Destination des produits


Que sont devenus les produits entreposés l'an dernier. Les viandes en provenance de la région,congelées ont été envoyées en caisse en France ou dans les territoires français d'Outre-Mer. Les oignons dont on remarquera le tonnage important ont été vendus à longueur d'année sur le marché local de telle sorte que l'on n'a pas enregistré de variations saisonnières sensibles dans les cours. Les pommes de terre et pommes de France ou d'Italie ont été vendues sur place tandis que les oranges qui n'étaient pas consommées dans la région étaient exportées vers l'étranger.


Commercialisation


Ainsi en marge des frigorifiques qui vendent du froid aux producteurs sont déjà venus se greffer des organismes commerciaux qui ont exercé depuis deux ans une action extrêmement bénéfique, qui ont complété l'action régulatrice des frigorifiques et encouragé les producteurs en leur offrant en quelque sorte des portes de sortie pour leurs marchandises. Ce sont d'une part la SOMAPI dans le département des viandes et la Société des Primeurs marocaines, station de conditionnement et d'exportation des fruits et primeurs.

La SOMAPI, on le sait envisage d'ailleurs d'étendre son activité en organisant à Fès la vente au détail de la viande sous cellophane. On a pu suivre la véritable bataille de la viande sous cellophane qui a été livrée récemment en France avec succès par ceux qui envisagent de la livrer aussi au Maroc et nous aurons très prochainement, sans doute l'occasion d'en reparler.


Encouragement à l'agriculture


Quoiqu'il en soit les frigorifiques au service des agriculteurs, des commerçants et des consommateurs doivent contribuer à l'essor agricole de la région. Les producteurs de bétail auront trouvé un débouché permanent et dans ces conditions, ayant une garantie de vente, auront tendance à faire du beau bétail. Il en ira de même en ce qui concerne les denrées diverses.

Et cet essor lui-même nous conduira à la naissance des enfants de lu deuxième génération : les usines de transformation qui ne manqueront pas de se greffer aux frigorifiques. Elles pourraient être légions. Sans que cette énumération soit limitative on peut déjà citer les conserveries, tanneries, usines de salaison, fabriques de plats cuisinés, margarineries, etc … sans oublier l'industrie du lait qui est particulièrement à l'ordre du jour dans la région : c'est un sujet plus que brûlant auquel on souhaite cependant que soit apportée la solution la plus logique et conforme aux intérêts de la collectivité. Cette industrie est en effet nécessaire à grande échelle car l'on sait ce qu'il en coûte au gouvernement d'importer du lait en boîte, de la poudre de lait, du beurre et autres produits laitiers.


Electricité trop chère


Ainsi apparaît très résumée l'importance pour notre région de cette installation. Mais on peut se demander pourquoi ces frigorifiques tout neufs sont handicapés par l'un des éléments du prix de revient du froid : les tarifs de l'électricité. En France, en Suisse, aux Etats-Unis par exemple l'industrie frigorifique bénéficie de tarifs préférentiels. Ici le kilowatt coûte deux fois plus cher qu'en France, alors que les tarifs d'entreposage sont à peu près égaux à ceux de la France : à Fès l'électricité représente 40% du prix de revient du froid.


Bienfaits du froid


Dans un pays chaud le froid plus qu'ailleurs est recherché ! c'est une vérité toute simple mais encore faut-i reconnaître les bienfaits de ce froid « sur mesure » lorsqu'il est à la porte d'une région agricole aussi importante et riche d'espérances que la région de Fès. Les premiers exemples tirés de l'activité des frigorifiques sont éloquents. Ils serviront d'encouragements et feront mieux que des discours et des détails de bilans comprendre à leurs principaux utilisateurs l'avantage dont ils disposent. Souhaitons du moins que d'ici peu d'années soit installée autour de leur mère réfrigérante toute une ribambelle d'enfants aux physionomies sympathiques, d'usines puissantes et prospères.

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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 2 février 2014 15:13:03

Dernier article ... au moins en ma possession de la longue enquête conduite par Christian Houillion, pour le Courrier du Maroc en mars 1953.

LES ATOUTS DE FÈS


La mise en valeur agricole de la région assurera l'essor de l'industrie de Fès qui tient encore en mains ses meilleurs atouts

Nous étions au début de cette enquête trente ans en arrière. Un témoin des années 20 nous avait dit ce qu'il existait alors de la ville nouvelle et des grandes entreprises que nous avons visitées ces jours derniers : exactement rien ! Les bases de l'essor qui s'est concrétisé en ces trois décades étaient jetées et furent, les années passant, consolidées. Notre tour d'horizon nous a permis de connaître mieux les usines que nous avons placées sous la rubrique générale des « grands ». Mais quel que soit le type d'industrie où nous ayons choisi des exemples qui font honneur à Fès, nous aurions fort bien pu découvrir des très honorables seconds. Dans certains domaines, nous savons d'ores et déjà que des entreprises plus importantes que celles qui existent vont être créées ou sont en cours d'installation.

Ces quelques exemples, ceux que nous aurions pu choisir en descendant un peu dans la hiérarchie des « puissances » suffisent-ils à convaincre ceux qui doutent que Fès ne se meurt pas ! Sans doute la vie même de ces industries et de quelques autres ne prouvent pas à elles seules que la cité ne somnole pas : mais cela est une autre affaire car les causes de cette somnolence ne sont pas des tares irrémédiables : et il y a loin de la somnolence superficielle à la mort réelle et surtout à l'activité efficace quotidienne de nombreuses entreprises fassies !


Casablanca seule reine


En bavardant avec M. Emile Fernandez, président en exercice de la Chambre française de Commerce nous avons pu évoquer encore quelques-uns des handicaps de Fès mais aussi de très certains atouts promettant le succès.

« Le handicap majeur pour l'essor industriel de Fès est peut être l'engouement assez général, pour Casablanca. Engouement valable mais dangereux à bien des points de vue : économique. car il
n'est pas bon de drainer vers cette ville toute la vie du Maroc ; politique et social car nous avons eu des exemples dramatiques de ce que pouvaient engendrer de monstrueuses agglomérations parmi lesquelles on recense des dizaines de milliers de déracinés difficilement assimilables ; stratégiques aussi : et sur ce point il n'est pas besoin d'insister.

« On ne peut jeter la pierre sans réserve ceux qui en s'installant à Casablanca en dépit de nombreux conseils : bien des industries tiennent à tout prix à être le plus près possible des ports quelque soit le développement du réseau routier et de voie ferrée. Et pourtant, il faut lutter contre cette cristallisation du Maroc autour d'un seul point. Il y a à l'intérieur du pays de la main d'œuvre en abondance et de nombreux consommateurs aussi bien des entreprises pourraient elles se développer ici même avec de grandes chances d'un succès permanent ».

Ce vœu de décentralisation nous l'avons entendu répéter bien des fois, que ce soit au Conseil économique régional ou au Conseil du Gouvernement ; les remarques mêmes de M. Fernandez sont celles que l'on entend généralement. Mais comment les Fassis ont-ils répondu à ce vœu : en quelques mois, plus de quatre cents commerçants de Fès sont allés s'installer à Casablanca ! Seront ce donc les fils mêmes de la région Nord et de l'ancienne capitale des Sultans qui donneront l'exemple de la « désertion » : c'est impensable et pourtant …

Un autre handicap pour les industriels est le manque de logements. Fès est une ville qui est partie sur le canevas d'une … banlieue ! on y construit des villas et les immeubles s'y font rares. Or cette formule est néfaste : elle coûte beaucoup plus cher que la formule des immeubles qui a le mérite aussi de donner à une cité une apparence de grande ville, sans parler des problèmes d'édilité posés par le développement des quartiers de villas sur des surfaces considérables.
On ne volt pas les habitants de Fès construire comme en d'autres villes. Dans certains quartiers, les magasins, épiceries et autres sont installés dans … des garages. Mais pour vivre et prendre son essor une ville a besoin que se multiplie le nombre des commerçants et des magasins. Seule l'administration construit des étages!

Sans qu'on puisse leur en faire reproche on doit observer aussi que les Fassis dépensent moins que les habitants d'autres villes. Peut-être vont-ils acheter ce qu'ils trouveraient éventuellement sur place à Casablanca. Il y a dans ce domaine aussi beaucoup à faire.


Ressources naturelles


Un autre handicap certain : le manque de ressource minières dans notre région. De très grandes usines ont pris leur essor à Fès parce qu'elles trouvaient sur place la matière première. Pour n'en citer que quelques unes: la briqueterie, la SIOM, les moulins, la Branoma. Plus seront nombreuses les ressources naturelles du sol et du sous-sol de la région plus la région et la ville qui en est la capitale deviendront vivantes.

Nous passons ainsi des handicaps aux vrais atouts. On a dit bien des fois que Fès placée un peu 1oin des yeux de Rabat était loin de son cœur. Victime parfois d'une méfiance plus ou moins justifiée elle aurait été stoppée dans son essor et sa mise en valeur. Si cela était vrai pour hier, ce ne l'est plus aujourd'hui, et il serait un peu injuste de ne pas reconnaître que Fès n'est pas au plan financier la plus mal dotée des régions marocaines. Si certains crédits qu'on lui a accordés lui ont parfois échappés, cela est une autre affaire.

« Faute de ressources minières, nous pouvons compter sur le développement agricole de la région. C'est à lui que nous devrons, très certainement dans un avenir proche l'installation à Fès de nouvelles usines. Cet essor s'affirme d'une campagne agricole à l'autre et il s'accentuera au fur et à mesure de l'accroissement en kilomètres du réseau routier. C'est pourquoi ce problème des chemins tertiaires est considéré aussi bien par les commerçants que par les agriculteurs comme primordial. Peu à peu le damier se fait plus dense des routes à travers le bled et peu à peu entre 1es traits noirs du damier, viennent naître cultures et troupeaux nouveaux.

L'incidence industrielle et commerciale de cet essor agricole ? Elle ira sans doute des industries de la viande aux conserveries en passant par toute la gamme d'industries de transformation qui peuvent s'installer auprès des frigorifiques. La réalisation que nous attendons avec impatience du barrage du M'Dez sera aussi un des gages de cet essor qui sera demain inscrit dans les faits et n'appartient aucunement, comme certains se plaisent à le dire au royaume des utopies.


Un slogan


Au terme d'un voyage à travers les grandes industries de Fès, voyage que d'aucuns auront peut-être commencé dans le doute, nous avons atteint une « zone d'espérance ». Jugeant sur le réel d'abord, nous savons qu'autour de quelques grands vivent des industries qui nous permettent de résoudre quelques-uns de nos problèmes quotidiens : nous nourrir, nous loger, nous vêtir. Définir le sens dans lequel une action pourrait être entreprise pour que soit accéléré la mise en valeur de la région se résumerait semble-t-il en la mise en application d'un slogan en trois parties : consolider, construire, convaincre.


Un programme


Consolider les industries qui existent en encourageant ceux qui les dirigent et font face à des difficultés multiples à développer leur activité grâce à laquelle des milliers d'ouvriers sont fixés à Fès loin des bidonvilles abominables et dangereux des grandes villes de la côte.

Construire les habitations et les routes. Les habitations qui permettront à de nombreux patrons d'accueillir la main d'oeuvre spécialisée qu'il faut « importer » de France mais qui ne vient que sur la promesse d'être logée. On doit souhaiter qu'en ce domaine l'Etat fasse un effort tel que celui qu'il a entrepris pour ses fonctionnaires : car faute d'immeubles la main d'oeuvre refuse de venir à Fès ou n'a de hâte que de quitter cette ville pour Casablanca où les logements sont souvent chers mais ont le mérite d'exister. Or, pour s'assurer de leurs services de spécialistes certains patrons paieraient un loyer élevé.

Construire aussi des routes. Le réseau tertiaire, préoccupation essentielle de ceux qui comptent sur l'agriculture pour assurer l'essor de Fès se fait plus dense. Trop lentement au gré des uns. Trop vite au gré de ceux qui voudraient pour eux, les parts les plus importantes de ces crédits sur ce poste chaque année.

Convaincre enfin. Convaincre d'abord ceux qui veulent quitter Fès, du potentiel économique d'une région qui grandit et s'enrichit. Convaincre ceux qui n'ont d'yeux que pour Casablanca de la menace qu'il courent sur divers plans. Convaincre enfin l'administration centrale des mérites d'une région qui pour être loin du ciel n'est pas moins … riche et travailleuse.

Consolider, construire, convaincre. Trois tâches parallèles qui ne peuvent être menées à bien que dans une union plus étroite de tous ceux dont le but est semblable. Qui sait si ce manque d'union, que l'on peut prendre parfois pour de la nonchalance, n'est pas la petite poussière qui fait gripper souvent le moteur fasi! Si c'était vrai ne croyez-vous pas qu'il suffirait d'une bonne volonté collective pour mettre au point une mécanique infaillible.


Fin


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Re: A la découverte des grandes industries de Fès en 1953
Envoyé par: carole (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 2 février 2014 17:52:16

Merci, Georges, pour ce panorama des activités industrielles et économiques de Fès du début des années 50.

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