Date: mar. 27 janvier 2015 00:05:01
AVANT QUE NE DISPARAISSE L'HÔPITAL AUVERT
J'ai trouvé dans le Progrès de Fez, un certain nombre d'articles sur l'hôpital Auvert à l'occasion de son transfert vers Dahar Mahrès en 1934. Je vous propose l'histoire de l'installation de l'Hôpital en 1911 près de Bab el Hadid. Certains passages feront peut-être "redite" avec ce que j'ai déjà mis en ligne.
C'est un peu long, mais certains d'entre vous auront peut-être envie d'aller "au bout" !
Dans quelques jours - à la fin de décembre - l'hôpital Auvert va quitter les lieux qu'il occupe très de la porte de Bab el Hadid pour s'installer dans ses nouveaux bâtiments admirablement situés sur le plateau de Dahar Mahrès ; avant qu'il ne disparaisse du quartier de Ras Djenan nous considérons comme un devoir de rappeler sa fondation, ces débuts et son activité au cours de près d'un quart de siècle d'exploitation et de dévouement.
Nous sommes en 1911, les tribus révoltées assiègent Fès mettant en péril la ville et les colonies européennes : Moulay Hafid terrorisé dans son palais sur lequel les Béni M’Tir tirent des coups de fusil, harcèle le consul Gaillard pour l'inviter à demander au gouvernement français le secours des troupes françaises campées en Chaouïa.
Le général Moinier avec la colonne principale, arrive à Fez le 21 mai 1911 presque sans coup férir, précédant de quelques jours la colonne Gouraud escortant le ravitaillement qui se fraya un difficile passage dans la région du Zegotta.
Le 30 mai, les brigades Dalbiez, Gouraud, Brulard réunies sous les ordres du général Moinier vont châtier les gens du Zerhoun et bombarder les villages des Beni Amar ; au retour, le 2 juin au combat de N’Zala Jeboub, le médecin major Auvert est tué.
Le 5 juin des tribus révoltées du Sud attaquent le camp deDar Debibagh; elles sont facilement repoussées; Bahlil est occupé et nettoyé de ses défenseurs; de ce point les colonnes du général Moinier se dirigent vers Meknès, par Aïn Blouz et l’oued Mahdoum, où elles reçoivent la soumission de Moulay Zine qui s'était dressé contre Moulay Hafid.
Les colonnes sont de retour à Fez le 16 juin après avoir circulé sans incident dans Moulay-Idriss, le Zerhoun et la région du Zegotta.
L’ambulance Delmas de Dar Debibagh est pleine de malades et de blessés -123 malades et 23 blessés - cette formation ne peut plus suffire, la création d'un hôpital s’impose, et elle est décidée le 17 juin 1911 par le haut commandement qui loue à cet effet les jardins Bennis où il se trouve actuellement.
Il fallut lui donner un nom; celui du médecin major Auvert tué en service commandé quelques jours auparavant lui fut attribué.
Voici les circonstances de la mort du Médecin major Auvert que je retrouve dans le discours prononcé sur sa tombe par le Médecin principal Bernard, médecin divisionnaire:
« Le Médecin aide-major de première classe Auvert a été tué le 2 juin au combat de la « Nzala Jeboub ».
« Il avait rencontré des camarades un endroit qui devenait dangereux et, après avoir un peu causé avec eux ils les avaient quittés en disant: « les balles me cherchent aujourd’hui, je m'en vais ». On l'appela auprès d’un tirailleur blessé et, pendant qu'il le panser sous le feu et sous les pierres des Oudaïa, une balle l’atteignit à la poitrine. Quelques minutes il est conscient de son état. Il dit au Médecin major Perrin qui le soutenait « je suis blessé à mort … je meurs en soldat ». Voila sa fin toute simple. Elle est assez belle et elle justifie ces honneurs militaires, ces fleurs pieusement cherchées et prodiguées par des amis,et l'émotion de tous. Mais croyez bien que ce n'est pas seulement la perte d'un médecin qui nous a émus. Nous aurions été moins touchés peut-être par la mort d'un autre, « les balles le cherchaient », disait-il. Elles auraient toujours trouvé autour de ce blessé un médecin à abattre, l’un de ses jeunes êtres dévoués,ardents, magnanimes, comme on les voulait il y a 100 ans. Comme on les a ici.
« Lequel eut mérité plus de regrets ? C’est le caractère d’Auvert qui augmente ces regrets, et sa valeur personnelle ajoute aussi de l'éclat à cette gloire un peu hasardeuse de la mort à l’ennemi. Chez lui ce n'est pas la fin qui mérite d’être glorifiée ; ces derniers instants ont été conformes à tout ce qui a précédé. Ils ne brillent pas comme une étincelle au choc imprévue des circonstances.
« C'est la dernière flambée d'une âme toujours embrasée, et, s'il a donné sa vie ce jour là il l’avait offerte depuis longtemps. Il était vraiment militaire, il voulait l’être avant tout. Un officier, son ami m'a dit de lui : c’est un officier de troupe qui serait médecin. Pourtant il était bon médecin, on l'avait choisi pour remplacer Cristiani à l’infirmerie indigène de ben Ahmed. Il justifia ce choix en se dévouant à tous ses clients des tribus, à ses goumiers, à ses camarades, et les éloges de ses opérés, de cataracte surtout, avaient propagé sa réputation dans le bled.
« Cet esprit de dévouement apparaissait dans sa douceur joyeuse et dans son obligeance de tous les instants, dans les grandes occasions, il allait jusqu'au sacrifice. À Dar Chefaï un jour, Auvert vit un tirailleur qui se noyait dans le courant de ll’Oum er Rébia, ses camarades n’osaient pas le secourir, Auvert se jeta à la nage et le sauva.
« Le commandant du poste le sut, réclama une médaille d'honneur pour Auvert. Mais Auvert n'avait rien dit. Il avait horreur des éloges et du bruit, il ne savait être un héros qu’avec modestie et à la place qui lui était assignée. »
L'hôpital Auvert portera désormais le nom de ce héros et, pendant près d'un quart de siècle d'exploitation et de dévouement traitera, soignera plus de 85 000 malades ou blessés.
Voici les statistiques, année par année, qui nous dispensera de tout commentaire superflu et montrera beaucoup mieux que de longs discours l'immensité du sacrifice français au Maroc.
Dates : 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923
Entrants 683 3199 3670 4220 3991 3802 4656 2955 3366 3239 3785 2785 2432
Dates 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934
Entrants 2550 9339 6230 3361 3034 2626 2880 2728 2429 2636 5035
Total général : 85 631
Et voici maintenant la liste des admirables praticiens qui se sont succédés à la direction de l’Hôpital Auvert depuis sa fondation :
1911-1913 : FOURNIAL Henri . Médecin-major de 1ère classe
1913-1915 : PERROGON Médecin principal de 2ème classe
1915-1917 : FAURE Médecin-major de 1ère classe
1917-1918 : ABBATUCCI Médecin-major de 1ère classe
1919-1920 : FAURE Médecin-major de 1ère classe
1920-1923 : NORMET Médecin-major de 2ème classe
1923-1924 : BERTRAND Lucien Médecin-major de 1ère classe
1924-1925 : DELESTAN Médecin-major de 1ère classe
1925- : POUPONNEAU Médecin-major de 1ère classe
1925-1927 : DREYFUSS Achille Médecin-major de 1ère classe
1927-1931 : COLIN Marie Médecin-major de 1ère classe
1931 …. : SALINIER Gabriel Médecin Commandant
Dans quelques jours le vieil hôpital Auvert illustré par tant de noms glorieux, par le dévouement et l'abnégation, allant jusqu'au sacrifice, de centaines de médecins, d’infirmiers, d’infirmières, va disparaître et s'installer sur le plateau de Dar Mahrès dans des bâtiments réalisant la technique et le confort les plus modernes et tout son passé admirable va s'estomper dans la brume des souvenirs.
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À ceux de la génération actuelle, à ceux qui vont bénéficier des améliorations réalisées dans le nouvel hôpital, rappelons les débuts de l'hôpital Auvert et laissons parler un témoin de l’époque, Gustave Babin, notre grand confrère qui nous a précédé dans la carrière et qui les a relatés dans son livre « Au Maroc, par les camps et par les villes » édité à Paris en 1912 chez Bernard Grasset:
« Si, à Meknès, l'on put installer l'Hôpital Louis dans une riche demeure arabe, à Fez, ce fut et cela demeure plus compliqué encore d'utiliser un local de fortune.
« Le docteur Fournial, si, en pareil lieu et dans de telles circonstances, il attachait la moindre importance à ces misères, pourrait envier l’étroit cabinet de travail de son ami Couillaud, fleuri de soucis d’or, avec son lit dans une encoignure, car lui comme son adjoint en sont encore réduits à coucher sous la tente de campagne, plantée dans le jardin de l’hôpital, près du bureau où ils travaillent et qui n'a pour vitres que des feuilles de papier huilé. On croit rêver !
« Ce jardin, à l’hôpital Auvert, à d’ailleurs une importance considérable. La vieille maison arabe attribuée au service de santé est assez exiguë ; mais un vaste terrain l’entoure où l'on peut s'étendre à l’aise. Quand au mois d’octobre dernier, il fut question de mettre en marche une colonne sur Taza, l'ordre parvint au docteur Fournial de porter de cent à deux cent cinquante le nombre des lits de son hôpital. Il fit soigneusement un devis, bien calculé et aussi raisonnable, aussi économique que possible, puis, modestement demanda pour exécuter les travaux et aménagements nécessaires 10 000 francs. On lui en accorda 6000. À lui de s’arranger. Le merveilleux ,c’est qu’il y parvint.
« La terre du beau jardin fournit des briques. On édifia des murs. On aurait des bâtiments presque parfaits si on avait pu obtenir à temps des solives, des tôles ondulées pour les couvrir. Mais le génie - lui toujours -était là. Nous le retrouverons plus loin encore. La saison des pluies arriva avant les matériaux mentionnés dont on avait besoin. Les murs de briques crues s'effritèrent ; c’est une aventure banale que j'ai souvent entendu conter sur ma route.
« En attendant mieux et pour sauver quelques pans de muraille de la ruine on a eu recours ici au bidon de pétrole, précieuse ressource et matériel bien souple décidément. Il joue cette fois les rôles de l'ardoise ou de la tuile. Avec les débris de trois cents qu’on a raflé un peu partout, on est parvenu à mettre à peu près à l’abri des intempéries deux ou trois bâtiments qu’on achevait d'aménager à mon passage.
« Afin de parer à l'insuffisance des salles, l'Administration avait envoyé des tentes immenses aux charpentes compliquées et pour les meubler, des lits de fer. Avait-elle réfléchi que le chaos des mules ou des chameaux est assez défavorable aux ferronneries ? C'est bien improbable.
« Toujours est-il que sur quatre vingts lits partis de la côte, trente seulement arrivèrent en état d'être utilisés. La même infortune advint aux tentes dont les armatures compliquées se faussèrent en route ou se rompirent. Il fallut recourir à l'aide précieuse de la Makina, l'ancienne manufacture d'armes des sultans, aujourd'hui inactive, ses outils perfectionnés abandonnés à la rouille, ses arbres de transmission devenus les perchoirs des pigeons du quartier. Les sous-officiers d'artillerie de la Mission militaire, les armuriers remirent quelques machines en marche et réparèrent le dommage. Bientôt, les vastes abris de toile, bien dressés sur des aires battues, imperméables, encombrèrent le jardin dont, avec d’infinies précautions, le docteur Fournial avait, pour leur laisser la place, fait transplanter quelques arbres.
« Mais ne trouvez-vous pas un peu insolite que des médecins ou des chirurgiens qui auraient évidemment assez et mieux à faire en se consacrant à leur seul ministère, des « hommes de l’art », selon la formule, soient astreints à des besognes aussi étrangères à cet art ? et d’admirez-vous pas déjà des hommes qui, au prix de surhumains efforts, parviennent cependant à concilier et leur devoir professionnel et des soins aussi éloignés de leurs habituelles préoccupations ?
« Je voudrais pouvoir vous conduire dans l’un comme dans l'autre hôpital, à travers tous les services tour à tour, afin de vous montrer mieux encore quelle intelligence, quelle énergie sont déployées pour triompher des conditions trop souvent peu favorable où l’on est placé.
« Certes, je serais le dernier à méconnaître la beauté, la grandeur du rôle des combattants. Mais la bataille n'est qu'une heure, qu’un moment de durée, et à l'exaltation farouche qui soutient les coeurs dans l’action, succède bientôt l'accalmie réparatrice. Tandis que pour ces médecins c'est la lutte sans répit, la continuelle présence sur la brèche devant l'ennemi jamais las de menacer et de frapper ; et l’on s'émerveille de les trouver sans cesse aussi vaillant, alertes et calmes.
« Leurs infirmiers aussi je les ai vu à l'oeuvre - j’allais écrire au feu - dans des conditions où il fallait, pour ne pas faiblir, pour accomplir jusqu'au bout la rebutante et périlleuse tâche, quelque coeur au ventre. Tous sans défaillance si comportèrent comme des héros.
« À un moment donné, au fort de l'épidémie de typhoïde qui décima l'été dernier la garnison de Fez, quinze des infirmiers de l'hôpital Auvert tombèrent atteints par la contagion, durent s’aliter. Cela faisait une somme de cinquante-six typhoïdiques en traitement dans le même service.
« Cette sombre trouée que le mal venait de faire mettre dans les rangs des infirmiers ne laissait plus debout assez de personnel pour donner les soins nécessaires à un si grand ombre. On demanda alors au chef de bataillon Fellert, commandant d'armes à Dar Debibagh, de faire appel à des hommes de bonne volonté. Il en vint autant qu’on voulut, autant qu’on en eut besoin, des coloniaux, des « marsouins » qu'il ne le cédèrent ni en dévouement, ni en attention aux infirmiers professionnels.
« Et quelles besognes ingrates ils assumaient ? ! Le docteur Fournial me citait le cas de l’un de ces braves enfants qui, chargé de l' unique soin de mettre au bain les malades, sortait à peine en ville une fois par semaine, le reste du temps appliqué à sa tâche comme une soeur de charité.
« Depuis que l'hôpital de Fez a été ouvert, à l'arrivée des troupes du général Moinier, sur sept cent cinquante malades qu'on y a traité, trente-sept étaient des infirmiers - cinq pour cent - À Meknès, c'est mieux encore : sur les soixante-seize morts qu’a vu succomber l’hôpital depuis qu'il fonctionne, sept étaient des infirmiers victimes du devoir soit un sur dix !
« Il me paraît quasi superflu, pour quiconque du moins connait nos moeurs administratives, d'indiquer qu'il m'a été accordé à l'hôpital de Meknès non plus qu’à celui de Fez, aucune de ces médailles des épidémies, de ces pauvres minces rubans tricolores dont se pare la boutonnière de tout adjoint au maire, de tout conseiller municipal un peu remuant et politiquement bien-pensant, qui a eu le bonheur de voir visitée par un fléau, la ville à l’administration de laquelle il collabore. Le docteur Fournial comme le Docteur Couillaud ont fait évidemment des propositions. Elles doivent dormir quelque part dans un de ces fameux cartons verts ».