Fès ville portuaire
Envoyé par:
georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: sam. 21 novembre 2009 23:32:24
Nous emmenions en esclavage
Cent chrétiens, pêcheurs de corail ;
Nous recrutions pour le sérail
Dans tous les moûtiers du rivage.
En mer, les hardis écumeurs !
Nous allions de Fez à Catane...
Dans la galère capitane
Nous étions quatre-vingts rameurs.
Cette première strophe de la Chanson de Pirates extraite du recueil «Les Orientales » de Victor Hugo ( poème qui a d'ailleurs été repris par Claude Nougaro en 1980 dans son album Assez) a de quoi surprendre les anciens fasi que nous sommes: pas très doué en géographie le Victor ! on avait bien Fès-Plage à Aïn-Chkeff, on savait y aller à pied ou en vélo mais on n'y avait jamais vu de bateau ( au moins à notre époque !) et la seule écume visible était celle de la Stork-bière dans le haut des verres.....à marée haute!
Fès, ville portuaire, géographiquement surprenante mais poétiquement acceptable cette affirmation est finalement moins farfelue qu'elle en a l'air. Je ne sais si Victor Hugo le savait, ou si c'est par pur hasard qu'il avait raison mais il semble qu'à plusieurs reprises des vaisseaux de haute mer ont navigué entre Fès et l'océan et pourquoi pas jusqu'à Catane même si c'est pour la rime.
Je viens de lire dans l'Afrique Française, bulletin du Comité du Maroc, d'avril 1912, un article du général de Torcy, intitulé « de l'océan Atlantique à Fez en canot automobile », qui m'a remis en mémoire ce sujet et m'a donné envie de vous faire part de cette hypothèse originale
Pour être honnête, personne n'a jamais pu prendre le bateau à Bab Ftouh mais il y aurait eu des chantiers de constructions navales près de Fès, à proximité du confluent de l'oued Fès et de l'oued Sebou, et des navires de guerre construits en ce lieu gagnèrent la mer par voie fluviale.
Pline l'Ancien dans son « Histoire naturelle », il y a deux mille ans a qualifié le Sebou de fleuve magnifique et navigable- amnis magnificus et navigabilis pour les puristes- et cette navigabilité a été confirmée à plusieurs reprises depuis, même si cette idée était régulièrement critiquée et traitée ironiquement.
Georges Colin dans un article que j'ai lu il y a quelques années (et dont je n'ai pas noté les références) évoquait un historien fasi du 14 ème siècle, traduit par Alfred Bel: cet historien écrivait que entre 1200 et 1350 (ap.J.C.) des navires furent construits près de Fès ( probablement dans les parages de l'actuel pont sur le Sebou) dont un deux mâts de 120 guerriers et un autre navire portant 60 soldats, qui furent lancés sur le fleuve et ont navigué jusqu'à l'embouchure du Sebou, à Méhédiya.
De Torcy écrit que dès le début du 16ème siècle la navigabilité du Sebou a fait l'objet d'investigations méthodiques à la fois par les portugais mais aussi les français.
En 1514, le roi du Portugal confie à deux explorateurs la mission secrète de reconnaître le fleuve, aussi haut qu'ils pourront. Les conclusions seront que « pendant l'hiver de petits bateaux peuvent remonter le fleuve jusqu'à la ville même de Fès »
En 1560, un français Geoffroy de Buade, dans un compte-rendu de mission signale que demeuré malade à Fès, il ne pût rejoindre la côte avec ses compagnons; mais rétabli après quelques jours il quitta la ville « dans un navire de Marseille venu au dit Fès en marchandise » Il ajoute que ce navire avait affaire à Fès pour charger des tonneaux pour Marseille.
Selon ces témoins directs, on pouvait donc se rendre de Fès à l'Atlantique en bateau au moins jusqu'au 16ème siècle mais le passé maritime de Fès semble ête resté discret !
En 1911, au moment où les colonnes françaises se préparaient à marcher sur Fès, on a envisagé d'assurer le ravitaillement des colonnes par la voie du Sebou. Des reconnaissances avaient même commencé sur place, l'étude de la question, mais une décision émanant de Paris décréta la non-navigabilité du Sebou....pour des motifs probablement extra-géographiques.
Au début de 1912 , une nouvelle reconnaissance du fleuve est entreprise en raison de l'importance des services que pourrait rendre au commerce de Fès la route fluviale. La maison Videau d'Alger met à la disposition de l'administration militaire un canot automobile
Accompagnée d'une escorte terrestre pour la protéger, la mission exploratrice après un peu plus d'un mois de navigation,a atteint le pont du Sebou à moins de 2h de marche de la ville de Fès, après avoir couvert , selon le chef de l'expédition, un parcours d'environ 700 km sur le fleuve.
Pour effectuer ce voyage, il a fallu réquisitionner de fortes corvées des habitants vivant le long des breges du Sebou, pour remonter des rapides au courant violent et passer les innombrables gués ou barrages recouverts d'une faible épaisseur d'eau malgré la saison hivernale. Le canot a coulé 2fois, par suite de voies d'eau et usé sa quille sur les cailloux de la route fluviale.
Ainsi, les conclusions finales de cette mission de 1912 ne concordent pas entièrement avec ce que l'on pouvait savoir d'un trajet fluvial régulier, en d'autres temps, entre Fès et l'océan: le fleuve est difficilement navigable dans sa partie supérieure et le doubler par un canal exigerait des travaux et des dépenses disproportionnés par rapport au résultat espéré.
C'est pour cela qu'aujourd'hui le rassemblement des vieux gréements a lieu à Brest et non à Fès!
1 modifications. Plus récente: 15/07/12 23:36 par georges-michel.