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La légende des fiancés de la noria du jardin de Boujeloud
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 10 août 2014 15:20:17

Il existe une légende parfois appelée " la légende des fiancés de la noria du jardin de Bou Jeloud" que citent, Didier MADRAS et Boris MASLOW dans leur livre "Fès, capitale artistique de l'Islam" (éditions Paul Bory, Casablanca 1948).

  Au XVIIIème siècle, le Sultan Moulay Abdallah , fils de Moulay Ismaïl veut aménager en jardins, les terrains qui s'étendent entre la médina (dite Fès el Bali) et les remparts de Fès-Djedid.

 La partie haute des jardins ne pouvant être atteinte par les eaux de la rivière, la construction d’une noria devint nécessaire.

  La légende raconte qu’aucun maalem n’osant entreprendre un travail d’aussi grandes dimensions, les planches et les poutres de cèdre restèrent longtemps à pied d’œuvre, dans l'attente de l’habile technicien qui les utiliserait.

  " Un jeune Fassi, amoureux de l’une des femmes du Sultan, parvint, au prix de mille difficultés, à communiquer avec sa bien-aimée. Il la retrouvait la nuit, au milieu du jardin, à l’abri des madriers apportés de la montagne. Malgré toutes les précautions, le secret fut mal gardé. le Sultan apprit la trahison et ordonna à un vieil eunuque de supprimer la coupable. Ayant, un soir, surpris les amants dans leur refuge, le serviteur brandit son poignard afin d’exécuter sa triste besogne. L'amoureux tenta de protéger sa maîtresse en la couvrant de son corps, mais le coup perça, en même temps, l’homme et la femme, et leur sang inonda les planches destinées à la Noria.

  Le Sultan, ne pouvant plus supporter la vue des matériaux qui, sans cesse, lui rappelaient ce drame douloureux, exigea, de toute urgence, la construction. Peu de temps après, la grande roue élévatrice commençait de tourner doucement et, chose surprenante, son fonctionnement s'accompagnait d’un grincement triste que rien ne put supprimer.

  Le bruit se répandit aussitôt que c’étaient les lamentations et les pleurs des amants dont le sang versé criait vengeance. Il faut croire que le crime ne fut jamais puni, puisque la noria pleure encore aujourd’hui".

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Re: La légende des fiancés de la noria du jardin de Boujeloud
Envoyé par: georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: sam. 24 janvier 2015 19:30:01

CE QUE CHANTAIT LA NORIA DE BOU-JELOUD


Une autre légende !



À une époque lointaine vivait à Fès-la-bien-gardée un sultan très épris de musique.
Pour multiplier ce qu’il appelait « ses heures de joie » il avait fait construire en son vaste « riadh », un « menzeh » digne de ses richesses, et dans ce cadre suggestif, chaque jour, ce « mulû d’entre les mulâa » venait écouter les plus suaves noubas.
Mais ce grand de la terre, marqué par un destin fâcheux, était horriblement teigneux.
Hachack ! Hachack !
Conçoit-on, pour un Sultan très redouté, accablé d’or et de pouvoir, vêtu de royales broderies, et parfumé tel une courtisane, une infortune plus grande …
Il cachait jalousement cette infirmité ridicule, dégradante, humiliante comme une défaite, et parce qu’il souffrait dans son orgueil, chaque jour venait demander aux rythmes et aux harmonies l’oubli de sa disgrâce.

Les musiciens étaient, comme il sied, introduits par une porte qui ouvrait sur la rue.
L’autre porte, réservée au Maître, était ombragée par deux arbres où l’on avait greffé cinq essences différentes : oranger, citronnier, mandarinier, oranger amer, cédratier.
Par l’apport de ces greffes, c’étaient en sorte des arbres sacrés.
Entrelaçant leurs branches, ils formaient au-dessus du porche, un bel arc de verdure, et quand le Sultan s’avançait, ils versaient sur l’auguste personnage la fraîcheur de leur ombre.
Ce matin-là, le Maître taciturne marchait d’un pas pesant, à la rencontre de ses « heures d’oubli » précieuses comme un narghileh.
Le jardinier, le précédant, ouvrit la porte fleurie, et le Sultan apercevant ses musiciens prosternés songeait :
« Allah est grand, qu’il soit loué ! Et je vénère ce Dieu grand qui me permet, chaque matin une pareille extase. Moments délicieux où ma peine lancinante s’évanouit.
« Je suis teigneux comme le plus famélique de mes sujets errants. Le Dieu tout-puissant, qui pour une raison que j’ignore, m’inflige cet affront perpétuel pouvait aussi bien, dans sa colère, supprimer mes oreilles. Mais « fartass » et sourd, c’eut été trop de rigueur. O vanité des trésors de ce monde !
«  Du fond de mon royaume, on craint mes caprices, et moi … je redoute les miroirs.
«  Mes palais et mon or et toutes mes conquêtes ne ramèneront jamais un cheveu sur mon crâne ».

Comme il passait sous l’arc de verdure, une branche épineuse du citronnier qui avait jeté une pousse à l’intérieur de l’allée, accrocha soudain au passage le turban du Sultan.
Brusquement décoiffé, son crâne nu, (hachack ! hachack!) apparut alors dans toute sa hideur aux regards stupéfaits du jardinier.
Hâtivement, cependant, l’humble serviteur arracha le turban à la branche sacrilège et vite en tremblant recoiffa la tête malade.
Mais, c’en était déjà fini de la musique et de ses rêves. Les musiciens prosternés n’avaient pourtant rien vu, mais le Sultan tout à sa honte, n’eut pas le coeur de les écouter. Les ayant aussitôt congédiés :
«  Salem ! cria-t-il au jardinier.
« Maître ! implora le serviteur d’une voix éteinte, sentant planer sur lui quelque lourde menace.
«  Salem ! cours à l’instant quérir des menuisiers. J’ordonne que ces deux arbres expient sans retard l’attentat qu’ils viennent de commettre sur ma personne sacrée. Qu’ils soient abattus, sciés, débités, transformés immédiatement en une noria. Et cette noria tournera éternellement pour arroser mes jardins.
«  Oui , mon Maître, j’entends et j’obéis ».
Les ordres du Sultan ne sauraient être entendu avec désinvolture et le lendemain la noria tournait déjà.
Elle grinçait, se plaignait sans doute de l’accablant fardeau que constituaient pour elle, les godets de poterie en guirlande. Sans relâche, les godets déversaient l’eau dans une gouttière en bois d’où elle s’enfuyait par mille rigoles.
La noria gémissait
Les oiseaux étonnés se taisaient devant cette rumeur insolite. Arbres et plantes, au contraire, resplendissaient. Toutes les racines, captant l’humidité nouvelle, le jardin multipliait les feuilles et se refaisait une beauté.
Mais la plainte obsédante du bois torturé devint insupportable au despote teigneux.
La noria racontait une histoire lamentable - toujours la même. C’était pour lui, comme un vivant reproche et plus encore le seul témoin de sa hideuse infirmité.

« Salem ! cria-t-il, excédé. Que chante cette maudite noria. Toi qui connais le langage des plantes, traduis-moi donc l’élégie qu’elle déclame.
« - Hélas ! Maître, je n’entends que le grincement du bois encore vert, mais avec le temps, le bruit s’atténuera.
« - Non ! Non ! Elle chante, elle se lamente, te dis-je, et je suis sûr que tu comprends sa plainte. D’ailleurs si dans trois jours, tu ne m’apportes, par écrit, les termes de sa chanson, tu auras la tête tranchée.

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Salem était un simple. Il ignorait vraiment le sens de cette chanson singulière, et son imagination se récusait … Mais il saisit, sans effort, la valeur de la sentence. Assuré de sa fin prochaine, le jardinier partit à l’aventure, ajoutant une désespérance aux tristes bruits de la noria.
Il avait à Meknès une fille très belle, qu’on disait fort intelligente et musicienne.
Il se rendit en sa demeure et pleura longtemps.

« Comment peux-tu connaître la date de ta mort. O mon père ! Dieu seul la sait. Mais dis moi ton chagrin, explique-toi, et je jure par Allah de ma dévouer pour toi ».
Salem lui confia son terrible secret.
« Je t’abandonne mon âme, ajouta-t-il ».
Dans l’humble chambre où se tenaient Salem et sa fille, un grand éclat de rire vibra.
« Quoi , dit-elle, ce n’est que cela ? Garde ton âme, mon père, garde la bien et vas dormir en paix. Invite seulement des musiciens, pour demain matin. Je me charge du reste.

Dès l’aube - car il fallait se hâter - les « aliyine » préludèrent et l’Inspiration dans son esprit encore brumeux lui dicta ces vers:
« Ne me blâme pas, ô chérif
« Ta peine n’est rien auprès de ma prière
« J’étais arrosée et j’écoutais chanter
« Et voici que j’arrose et voici que je chante »

Au jour fixé le jardinier rapporta au Sultan la trouvaille de sa fille, sur un parchemin fleuri d’enluminures.
Le Sultan sourit.
«  Salem, je te fais grâce, dit-il, car tu es un serviteur fidèle, mais j’ai peine à croire que ton cerveau obtus a improvisé cette charmante poésie. Qui donc a composé cela ?
«  Dieu me garde de mentir, répondit le jardinier, c’est ma fille.
«  C’est bien dit le Maître. Va ! »

L’image imprécise de l’inconnue-poète, en s’insinuant dans l’esprit du Sultan devint une obsession tenace, mais à coup sûr, délicieuse.
La noria continua de gémir. Des jours passèrent, des semaines aussi. L’obsession gardait son emprise.
La noria pleura longtemps encore. Il ne l’entendit plus. Un témoin occulte effaçait tout cela.
« Salem, dit enfin le Sultan, j’ordonne qu’en mon palais, ce soir même, ta fille soit menée. Je veux la connaître ».
Salem trembla encore, mais de plaisir cette fois.
Séduit par sa beauté et plus encore par son esprit, le « mule d’entre les mulâa » en fit sa favorite.
Dieu est grand ! songea encore le sultan.
Qu’il soit loué ce sage tout-puissant.
Et vénéré jusqu’à la fin des temps, Celui qui met aux citronniers de si longues épines.

O merveille du Fatalisme

( Texte trouvé dans le Progrès de Fès, hebdomadaire, 30 avril 1939)

Pièces jointes: 082 Noria.jpg (523.9KB)  
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Re: La légende des fiancés de la noria du jardin de Boujeloud
Envoyé par: jpb (Adresse IP journalisée)
Date: dim. 25 janvier 2015 15:03:19

Cet article mérite Une belle promo bientôt pour nos amis Fassis !!
Merci Georges

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