Ultime hommage à la mémoire d'un homme de bien: François MAKAY
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georges-michel (Adresse IP journalisée)
Date: jeu. 31 juillet 2014 14:40:44
Par :Georges MICHEL
Lien avec la famille : Aucun
Lors de mes recherches sur Fès, j'ai trouvé il y a trois ou quatre ans un article, non signé, paru dans le Courrier du Maroc du 3 janvier 1955. Il s'agit de l'éloge prononcé par Max RICARD, lors du décès de son ami François MAKAY
Je redécouvre aujourd'hui cet article dans mes archives et il me semble qu'il peut être publié dans la rubrique " Si Fès m'était contée ". François MAKAY a "fait" l'histoire de Fès et a participé par son action à la qualité des relations entre marocains et européens.
Cela répond d'ailleurs au souhait exprimé par M. RICARD " d'entretenir le souvenir de M. Makay" ... dont je n'avais jamais entendu parler avant de lire cet article.
Si certains d'entre vous ont connu François Makay, leurs témoignages compléteront l'hommage de Max RICARD.
" Lors des obsèques de M. Makay, M. Max Ricard, fidèle ami du défunt, a prononcé une très belle allocution qu'il nous plaît de transcrire ici car elle exhaltait à juste titre la mémoire d'un homme de bien, modeste, effacé et profondément généreux.
Les amis qui ont accompagné les restes mortels de M. François Makay au champ de repos doivent à la mémoire du défunt de célébrer son souvenir. C'est un être remarquable autant que méconnu qui vient de nous quitter.
Qu'il soit maintenant permis à l'un des rares familiers du mort d'en évoquer la figure, inconnue de la plupart des Européens de Fès. Cet homme rare, bon, modeste, réservé jusqu'à l'effacement, efficace, utile au plus noble sens du terme, et à peu près ignoré, tenait dans notre cité de Fès une grande place, et y laisse un vide qui ne sera pas comblé.
Fixé depuis plus de trente ans en Médina , M. Makay y est mort, pauvre, obscur et discret.
L'homme qui fit sans tapage ni bruit tant de bien et pendant longtemps, incarnait l'Honneur et n'eut point le souci de rechercher les « honneurs ». Possédant la seule vraie grandeur, celle de l'âme, il n'eut jamais besoin de piédestal ni de tréteaux.
Ayant quitté l'armée en 1919, M. Makay se consacra à des travaux délicats. Il fit des levers géométriques, des travaux d'infrastructure des lignes ferroviaires, alors que le Maroc était au début de son équipement. Il oeuvra dans les pénibles circonstances de climat et d'action d'un temps oublié ; il ne ménagea ni sa peine ni sa santé et il rendit à la naissante économie du Maroc moderne des services dont bien peu se souviennent à présent.
Puis M. Makay se fixa dans la Médina de Fès. Il y acquit, par des contacts quotidiens et bienveillants avec les choses et les gens, une expérience poussée des questions se rapportant aux constructions marocaines et au partage des successions immobilières. De nombreuses missions d'expertises et de délimitations lui furent confiées par les Tribunaux. Cet homme intègre les mena toujours à bien dans des conditions souvent pénibles. Alors que l'âge et de douloureuses infirmités supportées sans plaintes indiquaient ou exigeaient la nécessité d'un repos ou d'une atténuation des fatigues, M. Makay tint à continuer, jusqu'au total épuisement de ses forces, des tâches ingrates qu'il élevait à la hauteur d'impérieux devoirs.
Dans son austère logis de la Médina, M. Makay savait tracer d'une main demeurée sans défaillance jusqu'à la veille de son décès, les plans que concevait son cerveau lucide. Dans cette Médina de Fès, il a contribué plus que pas un, à conserver aux bâtiments privés un caractère artistique et esthétique, tout en sachant plier souplement et intelligemment les règles du beau style maghrébin aux exigences d'une vie citadine en pleine évolution matérielle et spirituelle. A ce titre seul, l'habile, le consciencieux architecte mérite la reconnaissance des amis du Beau et de l'Utile.
Mais l'homme privé se distinguait par des vertus plus hautes. Sa main droite voulait toujours ignorer ce que distribuait sa main gauche ; il se dépouillait au propre de la lettre, non de son superflu, mais bien de son nécessaire pour secourir quiconque venait faire appel à son assistance.
Le défunt dont les moyens personnels étaient aussi réduits qu'était immense son désir de secourir toutes les infortunes, parvint ainsi, durant trente ans, à réaliser des miracles quotidiens et secrets de charité agissante et persévérante. Les malades, les déshérités, les humbles que cet humble par vocation a secouru sans se lasser, ont connu par lui ce que valait l'assistance prodiguée avec la plus précautionneuse délicatesse. Ce sont les côtés entièrement méconnus du caractère d'un homme de grand cœur qu'il faut ici souligner, pour l'honneur du genre humain, la pudeur dans l'accomplissement du bien, le souci constant de ne point diminuer à leurs propres yeux les bénéficiaires d'aides multipliées mais jamais avilissantes, le soin constant de toujours donner sans jamais offenser la susceptibilité du pauvre.
La vie et la substance de M. Makay furent, on doit le dire, lentement épuisées par ces perpétuelles saignées à blanc au profit d'autrui.
Trop digne lui-même pour réclamer son dû le plus légitime, M. Makay connut trop souvent, la gêne et parfois pis, sans vouloir jamais ni se plaindre ni recourir à l'amitié de quelques admirateurs de son éminente personnalité. M. Makay eût beaucoup à pâtir du sordide manque de paroles de nombreux débiteurs, et il est consolant de croire qu'il viendra un jour où, devant une juridiction qui n'évaluera pas les actions ni les intentions au poids du Dinar, les comptes se régleront mieux que de ce côté-ci de la tombe.
Fin lettré, latiniste hors pair, M. Makay déchiffrait à livre ouvert les ouvrages les plus abstrus de la culture classique. Mathématicien distingué, il avait conservé la science, à peu près perdue de nos jours, des computs anciens et des nombres d'or.
Hongrois de naissance, fidèle serviteur de la France et du Maroc, M. Makay avait acquis des connaissances de français et d'arabe qui en faisaient un interlocuteur captivant dans ces deux idiomes lorsqu'il consentait à se dépouiller pour de trop courts instants de la réserve austère qui était le « climat » habituel de son comportement. Il révélait alors à un très petit nombre d'intimes les richesses d'un esprit aux multiples facettes, net et clair comme un gemme, incisif et indulgent tout à la fois, en un mot éminemment supérieur.
Les vertus d'une âme à l'antique, austère et exigeante pour soi seule, bonne et compatissante pour autrui, distinguaient encore cet homme pauvre de deniers et de biens, mais riche de ce que les sicles des Pharisiens ni le formalisme hypocrite du Saducéen ne pourront jamais ni acquérir ni faire fructifier en ce monde ou dans l'autre.
Aussi, quand de tels êtres passent le seuil sans retour, la perte est sensible pour ne pas dire irréparable.
Témoin d'un temps révolu, attardé dans un siècle de fer et de boue, ce seigneur magyar (qui avait su être le légionnaire des colonnes du Sud et le soutien des plus pauvres d'entre les habitants de ce pays maghrébin qu'il a si bien servi) est demeuré inattaquable et intact. Il a donné, à ceux qui pouvaient le comprendre l'exemple d'une vie aussi féconde qu'elle fut volontairement effacée.
Ce cœur généreux qui ne bat plus, cette chair torturée jusqu'au dernier spasme par des maux stoïquement supportés, retournent maintenant à la poussière finale.
Mais il demeure une impérieuse obligation pour ceux qui ont été honorés de la connaissance de l'âme exceptionnelle qui anima si fervemment, durant plus de soixante ans, l'homme d'élite parti à son heure : il faut entretenir le souvenir de M. Makay qui a su présenter à ses innombrables amis marocains ce que l'Europe se doit d'offrir au Monde, un homme infiniment, constamment et intrinsèquement bon.
L'on doit savoir aussi espérer que les semences qu'il a prodiguées ne tomberont pas sur le roc stérile, mais germeront en moissons opulentes.
Sur la terre où il a travaillé utilement et obscurément, M. Makay (qui eut de son vivant refusé tout éloge, ainsi qu'il renonça toujours aux récompenses) a contribué de manière durable à la grande œuvre humaine d'édification et de charité, à cette œuvre que la mort du juste ne saurait interrompre, puisque les bienfaits survivent quand leur auteur n'est plus que cendre ".