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Histoire de la famille ISNARD - une famille cosmopolite
Envoyé par: jpb (Adresse IP journalisée)
Date: ven. 2 mai 2014 15:19:35

Le 2 mai 2014

Nom, prénom: Carole GRATIAS (née Isnard)
Adresse: Paris
Lien: Concerne l'Histoire d'une famille cosmopolite durant plus de 20 ans à Fès.Il s'agit de la famille de Carole.
Délégation de publication: Jean-Pierre Bourdais

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25 ans DE PRESENCE AU MAROC, DONT 20 ANS A FES, D'UNE FAMILLE COSMOPOLITE

Mon père, Wladimir ISNARD, est né en 1918 à Paris. Russe apatride, dont les ancêtres étaient français, il a acquis la nationalité française en mars 1928.Sa famille s’est réfugiée en France après la Révolution russe de 1917. Une partie de la famille émigre aux Etats-Unis, l’autre, dont son père, Nicolas Isnard, et son oncle, Vadim Isnard, s’installent à Paris.

Il y fait la connaissance de ma mère, JANINE MAHEUT, née en 1916, et ils se marient en 1939.Engagé volontaire en janvier 1937 dans l’armée française, mon père est envoyé au Maroc où il arrive en mars 1941 avec ma mère et leur bébé, ma sœur aînée CLAUDE, tout juste âgée d’un an.
Débarquant à Casa, mutés à Meknès, puis à Rabat au gré des déplacements militaires de mon père au 64ème RAA, en 1942, ils s’installent à Kasba Tadla où mon frère CYRIL naît en novembre.
Ma mère reste à Kasba Tadla pendant que mon père participe à la campagne d’Italie, puis à celle d’Autriche.

En 1946, la famille rentre en France où les enfants sont confiés à leurs grands parents pendant que mon père et ma mère partent à Idar Oberstein avec les troupes d’occupation française en Allemagne.
Ce n’est que fin 1946 que mes parents s’installent à Fès où mon père est affecté au 63ème RA. Ils habitent près de la Kasba, dans un quartier de villas militaires, à coté du parc Chambrun au 25 rue du Train des Equipages, où je nais en 1947. Dans le quartier vivent de nombreuses familles de militaires : rue du Train, les CAZAUBON, BRAMOULET, SEGUI, PAOLI, DEMEULNAER, et rue du Parc, les CORNIERE, CASTEJON, DESVILLE.Les enfants fréquentent alors l’école Sainte Thérèse, puis l’école Jean Fabre de Dar Debibagh.

En 1951, mes parents déménagent pour s’installer au 2 rue du Commandant Prokos où Constantin naît en octobre, juste avant le départ de notre père pour l’Indochine.Nous changeons d’école, passant à l’Avenue Maurial, puis Cyril entre au Lycée de Chambrun et Claude à la Section technique féminine du lycée mixte, dont Mme FINET est la directrice. Nos voisins sont la famille du lieutenant-colonel Borel (il a fait la guerre en Corée avec les Américains), celle du capitaine PICOT, Mme BUTEL dont le mari travaille au Maghzen, les Pichard, les LALANNE, la famille VENARD, les LEGALL.

Nous allons souvent déjeuner en famille au Cercle des Officiers où ma mère invite aussi une de mes camarades de classe, Yvette Dinah Sabbah, la petite sœur de Lison.

Parti en janvier 1952 à Saïgon à bord du Trooper Pasteur, mon père ne reviendra pas de la guerre d’Indochine.
« Lieutenant au 21ème groupe aérien d’observation d’artillerie, affecté comme observateur sur Morane 500, il a disparu le 20 mai 1953 au cours d’une mission d’observation, dans la région de Laï Chau au Tonkin (au nord du Vietnam actuel), son avion n’étant pas rentré à sa base », comme l’indique l’acte de disparition établi par le ministère des anciens combattants.

Ma mère se trouve alors veuve avec 4 enfants. Il lui faudra attendre trois ans avant que ne devienne officiel le décès de mon père. Nous sommes déclarés Pupilles de la Nation en octobre 1955, et M. Anatole Tcheltsoff, dont le fils est également mort pendant la guerre d’Indochine, devient notre tuteur légal.

Par un des extraordinaires hasards de l’existence, les familles ISNARD et TCHELTSOFF, toutes deux d’origine russe, se sont retrouvées à Fès, alors qu’elles se connaissaient à Saint Petersbourg, Anatole Tcheltsoff, Nicolas et Vadim Isnard (mes grand père et grand oncle) ayant obtenu leur diplôme d’ingénieur à l’Institut des Ingénieurs des voies de communication de l’Empereur Alexandre 1er, école supérieure paramilitaire fondée en 1809, équivalent de notre École Nationale des Ponts et Chaussées. En attendant la déclaration officielle du décès de mon père, dont le jugement intervient le 18 décembre 1956, ma mère doit travailler.Elle apprend à conduire, difficilement, à l’auto-école Mekki, et, échange de bons procédés, apprend à lire à son moniteur. Notre première voiture, une 2 CV, ne dure pas longtemps : au bout d’une semaine, ma mère emboutit la voiture d’un juge !

Après avoir travaillé quelques mois dans l’administration militaire, elle est engagée aux Travaux Publics de Fès, où elle retrouve Mme Ansidéi, notre voisine du boulevard de Dar Mahres. En 1956, venant faire installer un autoradio dans sa toute nouvelle VW, immatriculée 6163MA15, elle fait la connaissance de Paul Liebermann.

Paul et ma mère se marient le 29 décembre 1956, leur repas de mariage a lieu à la Brasserie de la Légion. La famille, quittant les villas militaires, emménage au 12 rue d’Angleterre, en face de l’École Royal de M. Bensimon, nos voisins de palier. Je suis alors inscrite à l’école de l’Aguedal, Constantin à celle de l’Avenue de France, Cyril au Lycée mixte, notre sœur Claude part à Rabat en pension au collège des Orangers.

Paul LIEBERMANN, né à Riedisheim (Haut Rhin) le 28 mai 1911, est d’origine allemande par son père et française par sa mère, Olga Chauvin. Sa famille vit à Breslau (aujourd’hui, Wroclaw en Pologne) où il passe son bac et entreprend des études scientifiques. Son père étant décédé en 1932, il doit interrompre ses études, la situation financière de la famille ne lui permettant pas de continuer, et il commence à travailler à Berlin chez KDW en tant que technicien radio après avoir accompli son apprentissage et des stages chez NORA RADIO et SIEMENS RADIO. De 1934 à 1939, il complète sa formation en travaillant dans différentes firmes comme sous-ingénieur dès 1935, construisant même des appareils spéciaux pour l’aviation militaire.

Sa famille ayant conservé une culture française et ayant des opinions politiques opposées à la montée du parti populiste hitlérien, Paul prend part au mouvement clandestin de résistance à Hitler, est arrêté par la Gestapo et incarcéré deux fois pour activité politique antifasciste. Il doit fuir l’Allemagne, traversant la frontière à pied, pour éviter d’être envoyé en camp de concentration.
Réfugié à Strasbourg dans la famille française de sa mère, il s’engage dans la Légion étrangère en avril 1939 au service de l’intendance à Strasbourg, affecté au 1er régiment étranger de cavalerie. Envoyé en Algérie et en Tunisie d’avril 39 jusqu’en septembre 40, il arrive au Maroc en octobre 40, et dès 1941, à Fès. Sous-officier, il occupe les fonctions de comptable au service auto. À la fin de son contrat, il quitte la légion au bout de 5 ans en avril 1944.

En 1946, il obtient la naturalisation française.
Après avoir travaillé en 1944 à l’Hôpital Auvert en tant que comptable, il reprend son activité de technicien radio et travaille, notamment, au magasin MOGHREB RADIO (La radio dans toutes ses applications : TSF – Emission – Réception – Bobinage-radio) chez Maurice Aoulzerate (12 rue Bugeaud) et dans l’entreprise RADIO-ELECTRO (Le confort par l’électricité), d’Henri Salin dont la boutique est 42 avenue de France et le laboratoire 7 rue d’Angleterre.
Passionné de moto, il conduit une grosse BMW, immatriculée 960 MA 15, et féru de photographie (il possède un Rolleiflex), il parcourt le Maroc avec sa femme, Edith Hauben, épousée en avril 1949. C’est lors d’un de leurs voyages, qu’ils sont victimes d’un grave accident où sa femme Edith trouve la mort en octobre 1955.

Cela fait juste six mois que Paul s’est installé à son compte en avril 1955 au 60 avenue de France, à côté du cinéma Empire. Le magasin s’appelle TELERADIO. En plus de la vente d’appareils radios de grandes marques allemandes, Paul Liebermann équipe son magasin d’un atelier de réparation et de réglage. Il est également installateur d’autoradios.
En 1957, il s’installe au 50 avenue de France dans les locaux plus spacieux de l’ancien magasin Linvosges. Le numéro de téléphone du magasin est le 222 11.

À l’enseigne RADIOPOL, il vend des meubles combinés radio – électrophone, typiques de la fin des années 50 et que l’on trouve dans les beaux salons de Fès, des postes radio, des disques qu’il se procure grâce à un Américain, M. Reindollar, auprès de la base américaine de Kénitra, et de grosses piles batterie pour les gens du bled n’ayant pas l’électricité. Il poursuit son activité de réparation et d’installation et fait également la publicité audio diffusée à l’entracte au cinéma Empire. Je me rappelle qu’il nous a fait, maman et moi, enregistrer une réclame pour le salon de coiffure Max, « le salon de la femme élégante » ! Il possède une magnifique voiture américaine, une Nash Rambler bicolore avec roue de secours apparente à l’arrière, immatriculée 3381 MA 15, unique sur Fès comme me l’a rappelé André Olmedo !

Il vit à Fès jusqu’en 1959, mais atteint d’une tumeur au cerveau, consécutive à l’accident de moto où sa première femme avait trouvé la mort, il décède à Paris en août 1959.
Avant de partir se soigner à Paris, il fait promettre à ma mère de conserver le magasin, ce qu’elle fait pendant 6 ans. Tenant seule la boutique alors qu’elle n’avait aucune compétence technique, elle conserve le personnel du magasin jusqu’à sa vente, intervenue en 1965. Ses employés sont, entre autres, Charles Chétrit, M. Ramos, Abdelwahab.

Pendant cette période « intérimaire », ma mère fréquente les commerçants de la ville nouvelle : M. Dumont, le mercier, M. Jospin, le droguiste, Mme Giron, la veuve de l’architecte, gérante des immeubles de l’avenue de France, devenue avenue Hassan II, les Julienne, pharmaciennes, voisines de son magasin.
Après la mort de Paul, la famille déménage de la rue d’Angleterre pour s’installer au 5ème étage du 42 avenue de France dans un appartement plus petit.
N’ayant pour diplôme que le certificat d’études, ma mère pense que seules des études supérieures nous permettront de nous installer dans la vie (merci, Maman !). Pour compléter notre éducation, elle nous envoie faire des séjours l’été à l’étranger, Claude, Cyril et Constantin en Angleterre dans la famille Bushell, moi en Allemagne, grâce aux Hempel, une famille allemande résidant à Fès (Mme Hempel-Bonnafous est sage-femme à l’hôpital Cocard, sa fille aînée Ute travaille au Syndicat d’initiative de Fès, et la seconde, Brita est élève à l’école des sœurs).

Ma mère accueille pendant deux ans Christine Bushell (c’est dans sa famille que mes frères et sœur vont l’été en Angleterre) qui enseigne l’anglais au Centre Culturel Américain, lui ouvrant les portes de la colonie anglophone de Fès, qu’elle reçoit souvent à la maison : la famille du pasteur protestant Thompson, Mme Brown, une Américaine (dont ma famille est persuadée qu’elle fait partie des services secrets américains et qui partira un jour de Fès sans jamais donner de nouvelles), M. Brown-Boweri, converti à l’Islam, qui relança l’art du brocard à la Makina, M. Ridwan Collins, converti également à l’Islam, qui enseigna l’anglais à Sefrou, mais surtout fit un énorme travail de musicologie en recueillant des chants traditionnels dans tout le Maroc, et qui séjourna plus tard à Paris chez nous, venu perfectionner ses connaissances en arabe à l’Institut des Langues orientales, M. John Maddox, sujet de sa Majesté britannique, en villégiature…

Mes frères et sœur ont déjà quitté Fès. Claude, l’aînée, a fait la connaissance de son futur mari, Jean Boulbès, qui accomplit son service militaire à Fès dans l’aviation, quelques temps avant le départ de Fès des militaires et la fermeture définitive de la base aérienne courant 1961. Mariée, elle vit déjà en France avec Constantin, le plus jeune d’entre nous. Cyril, qui a fait à Strasbourg ses études à l’école hôtelière, travaille alors en Allemagne. Je quitte Fès pour entrer en classe préparatoire à Paris en septembre 1965.

La clientèle européenne qui génère l’essentiel du chiffre d’affaires du magasin quittant elle aussi le pays, le commerce devient difficile à tenir. Ma mère n’ayant plus de famille à Fès doit se résigner à rentrer en France. Le fonds de commerce est vendu en 1965 à MM. Squali et Abdellaoui pour la somme de 5.000 dirhams, 2.500 pour l’enseigne, le nom commercial, la clientèle et l’achalandage et 2.500 pour le matériel et le mobilier, selon les termes du contrat de vente que j’ai retrouvé.

En janvier 1966, ma mère quitte définitivement Fès et le Maroc où elle ne reviendra pas. C’est Mme Delattre qui l’aide à préparer son déménagement, comme cette dernière me l’apprend lors d’une de nos réunions à Montpellier.



Sur la route du retour, ma mère achètera une maison troglodyte en Andalousie, à Aguilas, sur une petite colline en bord de mer où poussent des aloès qui lui rappellent le Maroc et où elle passera désormais ses vacances.

Affrontant avec courage nombre d’épreuves pendant son long séjour au Maroc, elle qui se trouve deux fois veuve avec 4 enfants, elle fait preuve d’une indépendance peu courante à l’époque pour une femme, en avance sur son temps en matière d’éducation. C’est d’elle que nous tenons le sens du devoir, du travail, de la famille et de l’accueil. Elle nous transmet aussi son sens de l’humour, le goût du voyage, la curiosité pour les autres cultures, même si aucun de nous n’apprend l’arabe… C’est là notre seul regret.



7 modifications. Plus récente: 03/05/14 15:56 par jpb.

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